8.2.1.2. Une verbalisation de la prise en compte de la réponse : la régulation

A mesure que l’enquête progresse, les questions posées sont plus ouvertes et les réponses alors moins délimitées. Lorsque l’information apportée est moins précise qu’un nombre de personnes ou que le nom d’une profession, elle est livrée au travers d’un développement dans lequel le démarcheur ne reprend aucun terme parmi ceux utilisés par l’enquêté. L’accueil qu’il réserve à la réaction de l’enquêté est par conséquent différent. Il inscrit bien une réponse sur le questionnaire mais son accompagnement verbal est modifié : il n’y a plus verbalisation de cet acte d’écriture mais simplement verbalisation de la prise en compte de la réponse.

Le geste graphique du démarcheur est complété par une production verbale à valeur de confirmation. La répétition est aussi une forme de confirmation puisqu’elle fonctionne comme un accusé de réception de la réponse apportée, auquel s’ajoute l’explicitation de l’inscription, mais les productions dont il est à présent question portent intrinsèquement l’idée d’une ratification. Deux formes sont relevées dans le corpus : une verbale, « d’accord », et l’autre vocale, « mm ». Ces deux unités jouent généralement le rôle de régulateurs 627 . Dans le contexte de notre corpus, ils peuvent être analysés comme tels mais ce n’est pas là leur fonction principale ; ils ne sont en rien des régulateurs « purs » 628 .

‘(…) toutes les productions vocales ou verbales combinent, selon un dosage variable, une fonction régulatrice (elles contribuent à assurer la maintenance de l’interaction), et d’autres fonctions pragmatiques, qui peuvent être tenues pour négligeables dans le cas limite des régulateurs “purs”. (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 189)’

La fonction pragmatique de « d’accord » et « mm » n’est pas négligeable. Ces unités sont produites par le démarcheur, certes pour faire suite à la réponse apportée par le particulier, mais elles n’ont pas pour seule fonction de ponctuer et d’encourager le discours de l’autre : elles accompagnent également une activité non-verbale. La formulation de « d’accord » ou « mm » ne précède ni ne suit un tel geste ; elle lui est simultanée. La valeur pragmatique d’appui verbal d’une action non-verbale est dominante dans une interaction où ce travail graphique prend une telle importance. Cette fonction pragmatique est bien présente, même si elle ne pèse pas le même poids pour chacun des deux régulateurs.

Les éléments « d’accord » et « mm » signifient bien dans un premier temps « je t’écoute », mais leur valeur est immédiatement teintée par l’activité d’écriture qu’ils accompagnent. Cette activité a néanmoins une portée différente selon la position de la réponse apportée à la question posée. Certaines informations livrées par le particulier sont des données finies, là où d’autres ne sont qu’une partie d’un ensemble. On peut ainsi opposer un renseignement unique sollicité par la question « est-ce que vous exercez une activité professionnelle » et une série de réactions attendues par une demande comme « quels sont les moyens pratiques que vous utilisez le plus souvent » 629 . Selon le nombre de réponses attendues, le vendeur valide différemment chaque information obtenue : « mm » pour une réponse qui en attend une autre et « d’accord » pour une réponse finie.

Ainsi, les deux régulateurs ont des emplois différents selon la réponse apportée par le particulier. La production vocale « mm » est plutôt relevée dans des cas où la réponse est donnée en plusieurs étapes. Le vendeur marque alors une ratification de la première partie de l’information sollicitée, tout en soulignant verbalement son geste graphique, mais il reste très fortement tourné vers la seconde partie à venir. Dans un tel contexte, « mm » accompagne bien l’acte d’écriture du démarcheur mais n’exprime que l’enregistrement d’une première partie de réponse qui reste à compléter. Le morphème « d’accord » exprime, lui, très fortement l’idée « je le note » qui s’ajoute à la valeur régulatrice « je t’écoute ». Cette forte fonction pragmatique l’écarte plus fortement que « mm » du rôle de simple régulateur.

Dans le premier extrait, la réponse apportée par le particulier (38C) n’attend pas de suite. La question attendait une réaction précise et elle l’obtient. Le démarcheur note alors la réponse et verbalise sa prise en compte par un « d’accord » avant de poser la question suivante. Dans le second extrait, la question posée par le démarcheur est très ouverte et la réponse livrée par le particulier (66C) n’est qu’une partie des informations attendues. Le vendeur accuse réception de l’information par un « mm » qui accompagne son acte d’écriture mais sollicite également des réactions supplémentaires dont il donne la piste (« autrement des journaux », 67V). La valeur de chacun de ces deux régulateurs pourrait être paraphrasée comme suit :

‘« mm »  « je t’écoute » + « je le note » + « je continue à t’écouter »’ ‘« d’accord »  « je t’écoute » + « je le note »’

La production vocale « mm » joue ainsi un rôle de régulateur important mais qui ne masque pas sa fonction pragmatique, celle-ci surpassant toute autre valeur pour le morphème « d’accord ». La fonction pragmatique de ces deux unités est la même, à savoir accompagner une acte non-verbal d’écriture, mais elle ne pèse pas le même poids : pour « mm », cette fonction équilibre la fonction régulatrice là où, pour « d’accord », elle la supplante. Un extrait, où apparaissent successivement ces deux régulateurs, révèle bien cette différence :

Interaction n°52 :’ ‘44 V : les deux/ (.) heu: alors j’vais demander leur â:ge et leur cla:sse’ ‘45 C : alors heu moi j’ai: vingt huit ans en technique de commercialisation’ ‘46 V : mm/ ’ ‘47 C : et: ma sœur en a quinze en seconde\’ ‘48 V : d’accord (1’’) ok heu votre maman exerce une activité professionnelle/’

La question posée concerne les deux enfants du foyer. Le particulier doit donc donner l’âge et la classe de chacun d’eux. Sa réponse est donnée en deux parties dans les interventions 45C et 47C. La première partie (45C) est considérée par le démarcheur qui écrit l’information délivrée en verbalisant cette action par un « mm » (46V) qui marque une ouverture sur ce qui suit, puis la seconde partie de la réponse est donnée (47C) et prise en considération graphiquement par le vendeur qui formule un « d’accord » (48V) clôturant cet échange question/réponse(s) avant de passer au suivant. Les unités « d’accord » et « mm » ont ainsi bien une fonction régulatrice commune mais c’est leur valeur pragmatique qui dirige leur emploi.

La valeur de clôture du morphème « d’accord » relevée dans l’extrait précédent n’est pas systématiquement présente. Dans la plupart de ses occurrences, cette unité ne porte pas une telle fonction pragmatique, l’extrait de l’interaction n°56 présenté ci‑dessus en est un parfait exemple. Cependant, dans certains cas, cette valeur s’ajoute aux fonctions régulatrice et pragmatique précédemment envisagées et explique quelques emplois plutôt inattendus de « d’accord ».

L’analyse du corpus a permis de dégager deux types de réactions verbales du démarcheur consécutivement à la réponse donnée par le particulier : la répétition et la régulation. Toutes deux accompagnent l’activité d’écriture menée par le démarcheur et leur distribution apparaît comme étant fonction du contenu informationnel livré par le particulier. Lorsque la réponse est courte et précise, le vendeur reprend les termes employés et verbalise ainsi son activité graphique ; lorsque la réponse est plus étendue, il verbalise la prise en compte de la réponse sans en préciser le contenu. Cette analyse binaire n’est en fait que le reflet d’une tendance. Le corpus présente des cas qui viennent contredire cette séparation nette entre réponse courte et étendue et leur correspondance avec, respectivement, la répétition et la régulation.

Interaction n°51 :’ ‘42 V : d’accord (.) heu: alors combien d’personnes vivent dans votre foyer/’ ‘[…]’ ‘45 C : deux (.) mon mari et moi’ ‘46 V : d’accord (.) heu vous êtes à la retraite/’ ‘47 C : oui’ ‘48 V : d’accord (1’’) heu: (.) s- (.) le nom d’la rue/ (.) exactement c’est quoi/’

Les questions du démarcheur appellent des réponses courtes, que le particulier donne. Cependant, contrairement aux attentes provoquées par les tendances observées dans l’ensemble du corpus, les termes employés ne sont pas repris verbalement par le démarcheur lors de l’acte d’écriture. Le phénomène de répétition observé dans les autres interactions, à ce même endroit de l’enquête, est ici remplacé par l’emploi du régulateur “d’accord”. C’est en fait parce que le contenu des réponses conduit à la fin d’un micro-thème 630 , initié par le démarcheur dans sa question, que ce dernier accompagne son geste graphique par un régulateur qui relève cette clôture 631 . Un autre cas vient confirmer que certains « d’accord » sont clôturants 632 .

Interaction n°53 :’ ‘27 V : […] heu donc combien d’personnes vivent dans votre foyer/=’ ‘28 C : =j’suis toute seule=’ ‘29 V : =parce qu’on va l’faire rapidement (.) heu vous exercez une activité professionnelle/=’ ‘30 C : =aide-soignante’ ‘31 V : aide-soignante d’accord (.) donc parmi les moyens pratiques d’information quels sont ceux qu’vous utilisez l’plus souvent’

Il y a ici combinaison entre les deux accusés de réception que sont la répétition et la régulation. Le démarcheur répète les termes employés par le particulier et verbalise ainsi son acte d’écriture, mais il complète cette reprise par « d’accord ». Ce morphème n’est ici plus simplement une verbalisation de la prise en compte de la réponse. Même s’il est formulé au moment où le geste graphique du démarcheur est en cours, il prend bien une valeur de clôturant. La première étape de l’enquête — celle sur la composition du foyer — s’achève sur cette indication du métier exercé par le particulier et, après avoir noté cette réponse, le démarcheur enchaîne sur la deuxième étape de l’inventaire des moyens d’information. Ce « d’accord » apparaît donc ici comme ayant cette triple fonction d’accusé de réception de la réponse, d’accompagnement de l’acte d’écriture et de marqueur de clôture du thème développé dans les précédents échanges 633 .

Tout acte d’écriture effectué par le démarcheur est accompagné par une parole. Dans un échange à la structure ternaire, le vendeur pose une question, attend la réponse du particulier et la reporte graphiquement sur le questionnaire en verbalisant son geste. Selon le contenu de la réponse apportée et sa place dans le contenu informationnel sollicité, l’accueil verbal de la réaction du particulier varie.

Alors que, par la répétition, le vendeur verbalise le contenu de son acte d’écriture, la régulation ne fait qu’accompagner ce geste sans expliciter ce qui est concrètement reporté sur la fiche. Ces deux procédés de verbalisation ratifient la réponse apportée, mais seul le premier confirme le contenu qui est pris en compte. En fait, ce contenu cesse rapidement d’être explicité non seulement parce que les réponses se prêtent de moins en moins à une reprise littérale des termes employés par le particulier, mais également parce que les inscriptions effectuées sur la fiche ne sont pas forcément fidèles à ces propos.

Notes
627.

D’autres fonctions interactionnelles peuvent toutefois leur être attribuées. Sur la polysémie de « d’accord », voir par exemple Bouchard (1987 : 95-96).

628.

Dans d’autres contextes que ces échanges question/réponse, la production verbale « mm » est bien un régulateur pur. En effet, dans un extrait comme le suivant, cette unité apparaît bien comme un moyen de « confirmer l’autre dans son rôle de parleur » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 186) :

Interaction n°51  :
257 C : oui mais on oublie vite hein à notre âge (.) c’est ça le- c’est- on était un p’tit peu désorienté
258 V :
mm /=
259 C : =parce que: j’disais à mon mari tu m’attends quand tu arrives à telle leçon tu bloques si moi j’suis pas là hein

629.

Ces deux questions et les échanges qu’elles initient seront présentés dans les lignes qui suivent.

630.

Le fait que le particulier et son conjoint soient les seuls membres du foyer et qu’ils soient à la retraite élimine immédiatement toute question sur la scolarité des enfants et les métiers exercés.

631.

Cette valeur de clôture s’ajoute aux deux fonctions de prise en compte et de verbalisation de l’acte d’écriture et ne peut être révélée que par une étude transversale des interactions du corpus. L’analyse isolée de cet extrait ne permet pas de mettre à jour une telle fonction.

632.

Dans l’extrait qui suit, l’énoncé « parce qu’on va l’faire rapidement » (29V) répond à une précédente intervention du particulier qui accepte l’enquête tout en précisant son indisponibilité temporelle « mais heu- deux minutes parce qu’il faut qu’je parte » (14C).

633.

Dans la première partie de l’enquête étudiée dans ces lignes, aucun « d’accord » relevé n’a pour seule fonction de clore le thème initié. Lorsque le vendeur marque simplement la clôture d’un thème, c’est l’expression « ok » qui est généralement employée. L’extrait de l’interaction n°52 présente une succession de ces deux morphèmes et révèle cette différence entre « d’accord » comme une verbalisation de la prise en compte de la réponse et « ok » comme clôturant :

47 C : et: ma sœur en a quinze en seconde\

48 V : d’accord (1’’) ok heu votre maman exerce une activité professionnelle/