9.1.1.1. Un effet de qualité

Le vendeur valorise systématiquement le contenu de l’encyclopédie avant même de la décrire. Lorsqu’il expose le thème de l’ouvrage qu’il va présenter, il mentionne immédiatement la collaboration scientifique qui a permis sa confection.

Interaction n°56 :’ ‘159 V : […] ((V cherche la maquette dans son sac))
donc c:::’est sur l’astrologie et les arts divinatoires (.) vous en avez p’t- vous en avez p’t’être déjà entendu parler d’cette collection=’ ‘160 C : =[non’ ‘161 V : [enfin j’sais pas elle est sortie au mois d’février hein (.) donc c’est vrai que c’est- c’est: c’est assez récent hein/ (.) donc (.) heu voilà donc déjà on- on l’a faite faire par Didier Colin (.) vous: connaissez/’

Le vendeur signale rapidement, dès l’apparition de la maquette et l’indication de son thème, le nom de l’auteur de l’ouvrage 658 . Cette identité ainsi mise en avant fonctionne comme une garantie de la qualité du produit et joue ainsi le rôle d’argument d’autorité au sens où le décrit Plantin :

‘Proposant : - P, car X dit que P, et X est une autorité en la matière.
Il y a argumentation d’autorité quand le Proposant donne pour argument en faveur d’une affirmation le fait qu’elle ait été énoncée par un locuteur particulier autorisé, sur lequel il s’appuie ou derrière lequel il se réfugie. (Plantin, 1996 : 88)’

Dans le cas étudié ici, P n’est pas un énoncé mais tout un ensemble de propositions faites par X et rassemblées dans une encyclopédie. X est « Didier Colin », posé comme une autorité dans ce thème « l’astrologie et les arts divinatoires ». Toutes les encyclopédies présentées ont une référence, un X qui fonctionne « comme donnant de la valeur à la proposition P, comme la renforçant, comme lui ajoutant un poids particulier » (Ducrot, 1984 : 150). Le discours du vendeur propose ainsi, par exemple :

Sujet de l’encyclopédie Enoncé fonctionnant comme argument d’autorité
L’astrologie et les arts divinatoires « on l’a faite faire par Didier Colin » (I56, 161V)
La nature « l:es photos on les a faites faire
par le National Geographic » (I51, 514V)
L’apprentissage de l’anglais « on l’a fait faire donc heu par la B.B.C.
la radio londonienne » (I52, 212 V)

L’autorité mentionnée est un individu ou un organisme 659 . Elle peut également être un autre texte comme le programme scolaire délivré par le Ministère de l’Education Nationale, mentionné comme source de l’encyclopédie « Le Tout l’Univers ». Elle peut enfin être moins précise et n’être qu’un collectif de « professionnels ».

Interaction n°53 :’ ‘120 V : voilà (.) donc à chaque fois il y a heu::: (.) des questions et des réponses des professionnels’

Ainsi, lors de sa description de l’encyclopédie, le vendeur n’oublie jamais de préciser que sa société s’est tournée vers un spécialiste 660 . Elle a en effet « fait faire » l’ouvrage par une personnalité ou une institution compétente en la matière. Cette expression « faire faire quelque chose par quelqu’un », employée de manière systématique par le vendeur, indique que sa société a investi sa confiance en une autorité, qu’elle considérait alors comme la plus qualifiée. Cette idée rehausse l’image de l’encyclopédie comme de la société puisqu’elle apparaît elle-même comme une autorité dans le domaine de l’édition d’ouvrage spécialisés — tous ces professionnels ayant accepté de mettre leurs savoirs « scientifiques » à son service. Cependant, alors que certaines de ces autorités sont considérées comme telles par le particulier (interaction n°51), d’autres ne véhiculent pas une telle image (interaction n°56).

Interaction n°51 :’ ‘514 V : l:es photos on les a faites faire par le National Geographic ’ ‘515 C : mm=’ ‘516 V : =notamment (.) hein ils font plein d’reportages [à la télé’ ‘517 C : [ouais’ ‘518 V : enfin bon vous devez [connaître’ ‘519 C : [ouais ouais oh j’connais oui ’ ‘ Interaction n°56 :’ ‘161 V : […] heu voilà donc déjà on- on l’a faite faire par Didier Colin (.) vous: connaissez/’ ‘162 C : non ’ ‘163 V : Didier Colin on l’a- ben actuellement il est sur Europe 1’ ‘164 C : mm=’ ‘165 V : =et: on l’a vu énormément heu::: à la télé et puis heu dans: dans les magazines télé aussi il a fait énormément d’horoscopes et caetera ’ ‘166 C : ah/’ ‘167 V : donc heu voilà/ (.) c’est pour situer un p’tit peu qui: qui l’a fait=’ ‘168 C : =mm’

Dans le premier extrait, le particulier semble connaître le National Geographic mentionné et répond aux explications que le vendeur donne de son activité (516V) en indiquant de manière fortement affirmative (trois formes de « oui » et une interjection) qu’il le connaît (519C). Dans le second exemple, le démarcheur pose explicitement la question au particulier pour savoir s’il connaît la personnalité mentionnée (161V) et ce dernier répond par la négative (162C). Cet aveu annule totalement l’effet souhaité par le vendeur. L’information donnée sur l’auteur de l’ouvrage ne peut fonctionner comme argument d’autorité dans la mesure où la personnalité X n’est pas reconnue comme une référence. Le vendeur compense alors cet échec par une biographie de cette personne et tente ainsi de la faire accepter par le particulier comme spécialiste en la matière. La référence à un ou plusieurs professionnels est ainsi systématique et permet de suggérer la qualité de l’ouvrage qui va être présenté.

Notes
658.

Le présence de l’adverbe « déjà » (161V) souligne que cette mention apparaît bien comme un préliminaire à la description qui va suivre.

659.

Plusieurs types de référence peuvent se combiner. C’est notamment le cas lors de la présentation de l’encyclopédie sur la nature. En complément de l’institut National Geographic, le démarcheur évoque des spécialistes comme le Commandant Cousteau pour la partie sur les mers et les océans, ou encore Haroun Tazzief pour l’exposé sur les volcans.

660.

L’autorité mentionnée au début de la présentation est parfois évoquée une nouvelle fois avant de clore cette description.

Interaction n°52  :
212 V : heu::: on l’a fait faire donc heu par la B.B.C. la radio londonienne
[…]
284 V : […] donc heu donc voilà un p’tit peu comment c’est fait c’est vrai qu’nous on: a fait appel à la B.B.C. pour l’faire parce que heu (.) ben parce qu’on jugeait qu’c’était l’meilleur moyen hein au lieu d’le faire faire par des Français