9.1.2. Le recueil de l’avis positif du particulier

Interaction n°56 :’ ‘155 V : […] donc maintenant j’vais vous présenter quelque chose heu qu’on réalise (.) et vous allez heu m’donner v:otre avis et vos remarques dessus=’ ‘156 C : =mm=’ ‘157 V : =heu parce que nous c’est important heu::: c’est une nouvelle heu::: collection qu’on sort donc c’est vrai qu’on aime bien avoir l’avis des gens pour savoir si heu ben s- si on va pas s’planter dans c’qu’on fait: [ou si justement c’est intéressant quoi’ ‘158 C : [oui oui bien sûr’

Une telle annonce du démarcheur justifie l’apparition de la maquette de l’encyclopédie : cette maquette va être présentée à l’enquêté dans le but de recueillir son avis (155V). Il apportera alors sa participation à une étude, menée à plus grand échelle, sur l’intérêt du nouveau produit (157V) 668 . Cette perspective est acceptée par l’enquêté (158C) et, si la présentation qui suit est fortement orientée pour valoriser l’encyclopédie, le recueil de l’avis du particulier l’est tout autant.

Interaction n°53 :’ ‘150 V : […] donc au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez/=’ ‘151 C : =ah si moi j’trouve que c’est bien’ ‘152 V : mm/ (.) d’accord (.) au niveau des illustrations vous trouvez ça: heu::: agréable/ ça incite à la lecture/=’ ‘153 C : =oui oui’ ‘154 V : d’accord (.) heu::: (.) donc heu c’est un ouvrage instructif ’ ‘155 C : mm=’ ‘156 V : =on s’en doute (.) d’accord (.) heu il est attrayant/ dans l’ensemble/ j’veux dire si on: si on a ça chez soi heu c’est pas repoussant/’ ‘157 C : non’ ‘158 V : non’ ‘159 C : [pa- pas pour moi toujours’ ‘160 V : [d’accord (.) ça peut être un guide/ (.) sur certaines choses’ ‘161 C : ah: j’pense oui’ ‘162 V : d’accord […]’

Le vendeur demande au particulier ce qu’il pense de l’ouvrage dont il vient de prendre connaissance. Il commence par parler de la présentation extérieure (150V) puis il poursuit sur le contenu de l’encyclopédie (152V). L’interaction reprend à cet instant la forme d’une série d’échanges ternaires du type question/réponse/inscription de la réponse. La fiche, abandonnée pour laisser place à la maquette, réapparaît 669 et, après une séquence qui n’était plus structurée par les questions successives du démarcheur, le style interactionnel de l’enquête revient. Néanmoins, le vendeur ne sollicite pas un témoignage de l’enquêté. Il lui pose des questions précises, des questions fermées. Il ne laisse pas le particulier s’exprimer librement sur la maquette mais le contraint à répondre à des questions orientées.

Contrairement aux premières questions de l’enquête, celles qui visent à recueillir l’avis du particulier ne sont pas inscrites de manière littérale sur la fiche 670 . Dans le cadre 6 du document, les questions n’apparaissent qu’au travers d’une liste de mots. Chacun renvoie à une question dans laquelle il doit apparaître comme un mot clef. Le particulier est alors amené à dire si ce terme convient à une description de l’encyclopédie. L’ouvrage est abordé sous trois angles différents : sa présentation extérieure, les illustrations qu’il contient, puis son contenu global. Si le premier point est sollicité à travers d’une question ouverte (« donc au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez », 150V) et laisse ainsi libre la réponse du particulier, les deux suivants dirigent plus nettement sa réaction.

Lorsque le démarcheur aborde les illustrations puis l’ensemble de l’ouvrage, il sollicite l’avis de l’enquêté mais lui fournit des éléments de réponse. La première question posée sur les illustrations semble suivre le schéma de la précédente (« donc au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez », 150V) mais l’ouverture qu’elle laisse varie. En effet, si le sujet sur lequel porte la question est bien posé « au niveau des illustrations », l’interrogation qui suit n’est pas introduite par une locution du type « qu’est-ce que » mais par une proposition de réponse : « vous trouvez ça agréable/ ça incite à la lecture/ » (152V). Cette question « au niveau des illustrations vous trouvez ça: heu::: agréable/ ça incite à la lecture/ » (152V) est fermée et invite le particulier à répondre « oui » ou « non ».

L’enquêté pourrait bien sûr développer sa réponse et s’exprimer davantage quant à l’adéquation entre les qualificatifs qui lui sont proposés et l’ouvrage qu’il a sous les yeux. Mais la reprise en main de la fiche et l’attente d’une réponse à inscrire le poussent à répondre strictement à la question. Une telle attitude de réponse « oui »/« non » est relevée tout au long de l’étape déjà présentée dans les lignes précédentes.

Interaction n°53 :’ ‘152 V : mm/ (.) d’accord (.) au niveau des illustrations vous trouvez ça: heu::: agréable/ ça incite à la lecture/=’ ‘153 C : =oui oui’ ‘154 V : d’accord (.) heu::: (.) donc heu c’est un ouvrage instructif ’ ‘155 C : mm=’ ‘156 V : =on s’en doute (.) d’accord (.) heu il est attrayant/ dans l’ensemble/ j’veux dire si on: si on a ça chez soi heu c’est pas repoussant/’ ‘157 C : non’ ‘158 V : non’ ‘159 C : [pa- pas pour moi toujours’ ‘160 V : [d’accord (.) ça peut être un guide/ (.) sur certaines choses’ ‘161 C : ah: j’pense oui’ ‘162 V : d’accord (.)’

L’attitude du particulier est uniquement réactive. Il n’émet pas un avis personnel mais valide les qualificatifs qui lui sont proposés pour décrire l’encyclopédie. Les termes suggérés sont axiologiquement marqués. Les adjectifs « agréable » (152V), « instructif » (154V), « attrayant » et son antonyme « repoussant » (156V), employés dans une construction négative, sont subjectifs 671 . Ce sont bien « des unités signifiantes dont le signifié comporte le trait [subjectif], et dont la définition sémantique exige la mention de leur utilisateur. » (Kerbrat-Orecchioni, 1980 : 82). L’utilisateur premier de ces termes est le vendeur mais il se situe, au moment de leur énonciation, à la place du particulier. En les insérant dans l’interaction au sein d’une question qu’il pose, le démarcheur suggère à l’enquêté une reprise à son compte de ces axiologiques.

Tout comme il le fait depuis le début de l’enquête, le démarcheur suggère une prise de position de la part de son interlocuteur 672 . Néanmoins, le point de vue attendu dans le cadre de l’enquête est ici proposé. Ces adjectifs mélioratifs deviennent des mots clefs de l’échange et, s’ils ne sont pas réellement verbalisés par le particulier qui répond généralement par un simple « oui », cette réponse valide l’emploi du terme à valeur positive. L’accord de l’enquêté est suivi par un geste graphique du démarcheur qui coche la case correspondante. Au terme de la présentation de l’encyclopédie, le démarcheur fixe ainsi graphiquement l’avis du particulier, et cet avis est porté par les seuls qualificatifs « agréable », « incite à la lecture », « instructif » et « attrayant ».

Dans les autres interactions du corpus, l’étape de recueil de l’avis du particulier est moins rapide que dans cette interaction n°53. Pourtant, même si les autres enquêtés sont plus bavards que celui dont les réponses viennent d’être envisagées, la méthode du démarcheur reste la même : il propose des termes pour la description de l’encyclopédie et le particulier les valide. Considérons dans un premier temps le moment où c’est la présentation extérieure de l’ouvrage qui est évoquée. La question posée est toujours la même : « au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez ». Le contenu de la réponse est laissé libre et l’enquêté exprime alors un avis personnel, quoi que très succinct.

Interaction n°54 :’ ‘309 V : […] au niveau présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez déjà/’ ‘310 C : pas mal’ ‘311 V : ouais/’ ‘312 C : vraiment ouais (RIRES)’ ‘313 V : ok […]’ ‘ Interaction n°55 :’ ‘518 V : au niveau présentation (.) extérieure qu’est-ce que vous en pensez:’ ‘(6’’)’ ‘519 C : ah c’est normal’ ‘520 M : (RIRES)’ ‘521 C : c’est un livre’ ‘522 V : [c’est normal/’ ‘523 C : [présenté ouais c’est normal quoi:=’ ‘524 V : =ah d’accord non mais j’marque hein comme vous dites hein de toute façon’ ‘525 C : voilà c’est:=’ ‘526 V : =très bien’ ‘ Interaction n°56 :’ ‘246 V : […]au niveau de la présentation extérieure (.) qu’est-ce que vous en pensez’ ‘247 C : ben j’dirais que: c’est pas mal (RIRES)’ ‘248 V : mm/’

Les réactions à cette question relative à la présentation extérieure de la maquette sont marquées par l’étonnement du particulier. Dans ces trois extraits, des rires sont relevés. Ils sont produits par le particulier lui-même (I54 et I56) ou sont provoqués par sa réponse (I55). Ces productions vocales attestent du caractère inattendu de la question posée. En effet, à l’exception de l’interaction n°56 où le démarcheur annonce ce qui suit (« heu donc maintenant j’vais prendre vos avis heu au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez », 246V), les autres extraits ne sont précédés que de quelques ponctuants conclusifs (« voilà », « ok » ou encore « très bien ») qui viennent clore de façon moins explicite l’étape de présentation de l’encyclopédie.

La question relative à la présentation extérieure de l’ouvrage apparaît en fait comme une sorte d’entrée en matière. C’est une transition entre l’exposé de la maquette qui s’achève et le recueil de l’avis du particulier. L’élément alors porté à son jugement est de moindre importance ; ce dernier le relève d’ailleurs parfois avec humour (« ah c’est normal c’est un livre », 519 et 521C). Les réponses apportées varient et ne sont pas orientées par le démarcheur. Ce n’est que dans la partie suivante qu’il resserre ses questions et propose des réponses. Ces suggestions ne sont cependant pas toujours immédiates. Le démarcheur peut laisser sa question ouverte mais l’initiative qui est laissée au particulier disparaît rapidement.

Interaction n°52 :’ ‘316 V : […] au niveau des illustrations: (1’’) qu’est-ce que vous [en pensez/’ ‘317 C : [à l’intérieur/’ ‘318 V : oui’ ‘319 C : c’est bien fait ça fait- (.) enfin: ’ ‘320 V : ça incite à la lecture/ c’est agréable/ [c’est assez aéré c’est:’ ‘321 C : [c’est: oui […]’

La question initiale du démarcheur est introduite par la locution « qu’est-ce que » et laisse ainsi la réponse du particulier libre 673 . Ce dernier réagit en énonçant une généralité (« c’est bien fait ») mais rencontre rapidement des difficultés pour trouver les mots justes. L’interruption du syntagme « ça fait- » et l’allongement de la voyelle finale du ponctuant « enfin: » marquent son hésitation. Le vendeur lui propose alors des qualificatifs « ça incite à la lecture », « c’est agréable » que l’enquêté, après une dernière marque de réflexion (« c’est: ») finit par valider.

Les prises d’initiative du particulier pour exprimer son sentiment sur l’ouvrage qui vient de lui être présenté sont rares. Lorsque l’enquêté donne son avis, les formules choisies sont communes et très générales (« c’est bien fait », I52, 319C ; « ben j’dirais que c’est pas mal », I56, 247C) 674 . Ces remarques ne contentent pas le vendeur désireux de faire ressortir plus nettement les points forts de l’encyclopédie. Il aide alors le particulier à trouver ses mots mais, davantage que de le seconder dans cette tâche, il lui propose un avis. Le démarcheur entraîne rapidement son interlocuteur dans une série de questions fermées et le particulier adopte une position uniquement réactive. Il s’en remet alors aux qualificatifs employés par le vendeur.

L’enquêté ne se prononce finalement pas sur le contenu de l’encyclopédie mais sur l’adéquation entre les termes qui lui sont proposés par le démarcheur et ce qui lui ai apparu en parcourant l’ouvrage. Or ce qu’il a perçu de l’encyclopédie, c’est avant tout ce que le vendeur lui en a dit, et le message transmis par le démarcheur est fortement teintée de subjectivité. Ainsi, non seulement les thèmes, abordés pendant la présentation de l’encyclopédie ou lors du recueil de l’avis du particulier, sont choisis mais ce qui en est dit est contrôlé et orienté positivement 675 . Des effets de qualité, d’exhaustivité et d’accessibilité marquent la présentation de l’encyclopédie, puis les questions posées pour savoir ce que le particulier en pense sont des questions fermées, construites autour de différentes unités à valeur méliorative. Au terme de cette étape importante de la démarche, il s’avère que le vendeur propose un avis au particulier plus qu’il ne le sollicite.

Notes
668.

En lui demandant son avis, le démarcheur place son interlocuteur dans un rôle de conseiller. Partageons le scepticisme de Larochefoucault qui estime que « ceux qui demandent des conseils le font plus souvent pour être applaudis que pour être éclairés » (cité par Zarka, 1988 : 223).

669.

Cette réapparition de la fiche n’éclipse pas la maquette qui reste présente sur la table. Le vendeur se saisit de la fiche pour poursuivre son enquête mais laisse le particulier manipuler la maquette.

670.

Les questions faisant suite à la présentation de l’ouvrage sur la scolarité sont bien inscrites en toutes lettres mais, étant donné qu’aucune interaction de notre corpus ne développe ce thème, ces formules seront écartées de notre analyse.

671.

Le sont tout autant des unités comme le syntagme verbal « incite à la lecture », le complément du nom « de référence » ou encore les substantifs « guide » et « outil » qui figurent sur la fiche et peuvent également être suggérées au particulier.

672.

Le point 5.1.2. a mis en évidence les moyens utilisés par l’enquêteur pour obtenir un avis personnel du particulier.

673.

Notons que le chevauchement de parole pousse également le vendeur à laisser la question ouverte. Son intention semblait être telle, la syntaxe interrogative en témoigne, mais il aurait pu compléter son énoncé par des propositions de réponse.

674.

Le seul particulier qui fait l’effort de formuler un avis au milieu des suggestions que lui fait le démarcheur est celui de l’interaction n°56. Cependant, l’énoncé qu’il s’applique à produire est marqué par de nombreuses hésitations et une forte incohérence sémantique. Il dit, à propos des illustrations : « elles sont assez bien heu: c’est assez bien disproportionné c’est- c’est bien placé enfin moi j’aime bien » (259C).

675.

Freund (1991) parle de « mots piégés » et de « rails mentaux ». Selon lui, les « mots piégés » nous contraignent à voir dans la réalité présentée seulement certains de ses aspects, ou encore des éléments qui n’y figurent pas normalement. Il propose ensuite une typologie des termes qui fonctionnent comme « rails mentaux » selon qu’ils sont louangeurs, dépréciateurs, neutralisants, de justification, déresponsabilisants, etc.