9.2.1.1. Un « avis favorable » sur le produit

L’avis de l’enquêté sur l’encyclopédie présentée est recueilli à travers la validation de plusieurs termes soumis par le vendeur. Ceux-ci sont inscrits sur la fiche et l’expression de l’accord du particulier conduit le démarcheur à cocher ces différents mots clefs. La série de questions fermées qui révèle les points forts de l’encyclopédie s’achève sur la proposition d’un dernier adjectif.

Interaction n°53 :’ ‘162 V : […] vous auriez un avis favorable sur ce genre heu:::=’ ‘163 C : =ah oui=’ ‘164 V : =de collection/ (.) oui/ (.) d’accord\’

L’adjectif « favorable » ne porte cette fois-ci pas sur une des composantes de l’encyclopédie, comme les illustrations, mais sur l’ouvrage entier. C’est un sentiment général sur le produit qui est demandé au particulier et cet avis est proposé comme « favorable ». Le démarcheur ne lui demande pas de se prononcer sur une échelle graduée de valeurs 676 . Il lui propose un unique adjectif, nettement positif, pour verbaliser ce qu’il pense de l’encyclopédie. Cet « avis favorable » intervient au terme de la phase de recueil du sentiment du particulier. Il apparaît alors comme une intervention résumante et clôturante. Considérons l’enchaînement entre la série de questions fermées et cette dernière intervention.

Interaction n°53 : ’ ‘150 V : […] donc au niveau de la présentation extérieure qu’est-ce que vous en pensez/=’ ‘151 C : =ah si moi j’trouve que c’est bien’ ‘152 V : mm/ (.) d’accord (.) au niveau des illustrations vous trouvez ça: heu::: agréable/ ça incite à la lecture/=’ ‘153 C : =oui oui’ ‘154 V : d’accord (.) heu::: (.) donc heu c’est un ouvrage instructif’ ‘155 C : mm=’ ‘156 V : =on s’en doute (.) d’accord (.) heu il est attrayant/ dans l’ensemble/ j’veux dire si on: si on a ça chez soi heu c’est pas repoussant/’ ‘157 C : non’ ‘158 V : non’ ‘159 C : [pa- pas pour moi toujours’ ‘160 V : [d’accord (.) ça peut être un guide/ (.) sur certaines choses’ ‘161 C : ah: j’pense oui’ ‘162 V : d’accord (.) vous auriez un avis favorable sur ce genre heu:::=’ ‘163 C : =ah oui=’ ‘164 V : =de collection/ (.) oui/ (.) d’accord\’

Le « d’accord » final, marqué par une intonation descendante, indique la clôture de cette étape de recueil de l’avis du particulier. Cette phase se termine donc par un échange exprimant l’« avis favorable » de l’enquêté sur l’encyclopédie 677 . Après avoir abordé la présentation extérieure de l’ouvrage (150V à 152V), les illustrations qui le composent (152V à 154V) puis son contenu général (154V à 162V), le vendeur sollicite une prise de recul plus importante encore et propose une réflexion d’ensemble. Tel qu’il est introduit dans le discours, le terme « favorable » tend à englober tous les qualificatifs précédents 678 . Il apparaît comme une conclusion, non seulement parce qu’il suggère un point de vue général, et donc différent des autres plus ponctuels, mais aussi parce que son inscription sur la fiche contribue à le démarquer.

Alors que les autres termes utilisés étaient imprimés sur la fiche et cochés après validation du particulier, le mot « favorable », même s’il apparaît dans l’énoncé-type, ne doit pas être simplement coché mais doit être réécrit en toutes lettres. Cette inscription doit d’ailleurs être effectuée en lettres majuscules et dans un large cadre prévu à cet effet 679 . Cette mise en scène contribue à donner de l’importance à ce terme et la position du cadre, centré sur la partie finale de l’espace numéroté 6, le pose bien comme une conclusion. Les termes précédant ce qualificatif final ont leur importance ; ils insistent sur les différents points forts de l’encyclopédie. Cependant, cette dernière mention « favorable » joue un autre rôle que celui de valoriser le produit. Elle engage le particulier à un autre niveau, celui de l’achat. L’inscription de ce terme est d’ailleurs parfois suivie par une ultime question évoquant l’idée de la possession de l’ouvrage.

Interaction n°56 :’ ‘286 V : […] heu: donc vous auriez un avis favorable sur ce genre heu:’ ‘287 C : [ouais’ ‘288 V : [d’ouvrage (.) c’est quelque chose que vous aimeriez posséder/’ ‘289 C : ouais’ ‘290 V : ok’

La possession de l’ouvrage n’est évoquée que comme une éventualité. Cette acquisition, comme l’avis favorable d’ailleurs, sont exprimés par des verbes conjugués au conditionnel. Une distance est ainsi marquée entre le procès décrit et son agent éventuel, le particulier. Elle est également parfois soulignée par l’utilisation d’une expression caractéristique comme dans l’intervention suivante : « c’est quelque chose que à la limite vous aimeriez posséder » (I54, 342V) 680 . Des précautions sont donc prises par le vendeur pour ne pas être trop direct dans cette tentative d’amener le particulier jusqu’à l’achat du produit. L’étape se termine sur un « ok » qui valide la prise en compte des différents qualificatifs et notamment des deux derniers « ouais » qui encouragent le vendeur à poursuivre sa démarche : cette séquence est à la fois une fin en soit, le discours du vendeur a progressivement fait apparaître ce recueil de l’avis de l’enquêté comme l’objectif de la démarche, et une condition pour continuer.

Le particulier ne sait pas où le démarcheur l’emmène. Engagé dans une enquête, il participe à une interaction dont les finalités ne sont pas clairement déterminées 681 . Au regard des séries de questions qui ont composé cette enquête, la présentation de l’encyclopédie constitue un large épisode qui se place alors au centre de l’enquête. Le recueil de l’avis du particulier sur l’ouvrage exposé lui apparaît alors comme l’aboutissement de la démarche. Cependant, les derniers échanges de cette étape ouvrent d’autres perspectives. Si le particulier permet que lui soit attribué un « avis favorable » et, qui plus est, s’il accepte l’éventualité de posséder l’ouvrage, le vendeur pourra poursuivre sa démarche commerciale 682 .

Notes
676.

La question posée aurait pu être à choix multiple. L’enquêté aurait alors pu choisir entre, par exemple, quatre propositions comme « non favorable »/« peu favorable »/« favorable »/« très favorable ».

677.

Dans les autres interactions du corpus, cet échange final est initié par le ponctuant conclusif « donc ». Au terme de la série de questions fermées, on relève alors « donc vous auriez un avis favorable » où la conjonction de coordination marque fortement la fonction de bilan que joue cette demande.

678.

La question dans laquelle apparaît cette mention « avis favorable » s’apparente au type de question décrit par Richard-Zappella (1999 : 193-196) comme une « question insistante » à ceci près qu’elle ne semble pas menacer la face de l’enquêté. En effet, elle n’est pas perçue comme une remise en cause implicite de ses dires. Elle revêt cependant bien la fonction « d’une demande de clarification » et « prend l’aspect d’une collaboration relativement harmonieuse que souligne le connecteur d’accord » (Ibid., 194). Comme nous le verrons dans les lignes suivantes, la demande de clarification n’est pas tant destinée à l’enquêteur qu’à l’enquêté. « Favorable » est en fait un bilan dressé à destination du particulier.

679.

La particularité de cette inscription a déjà été notée sous le point 8.2.2.2.

680.

Cette locution est définie par Le Petit Robert (2003) comme suit : « si on se place en pensée au point vers lequel tend une progression sans l’atteindre jamais ». Le vendeur demande donc bien au particulier d’imaginer la possession de l’encyclopédie tout en laissant penser qu’il n’en est ici aucunement question.

681.

Cette idée a été développée dans le Chapitre 6, notamment à travers les mots de Vion : « (…) le sujet qui accepte de participer à une enquête se trouve engagé dans une interaction dont il ne connaît que partiellement les finalités » (1992 : 131).

682.

Les cas où le particulier n’exprime pas un avis favorable sur l’encyclopédie seront envisagés sous le point suivant.