9.2.2.1. Les engagements sollicités lors de l’entrée en porte

Le but de l’entrée en porte est de pouvoir accéder physiquement à l’appartement du particulier, sans quoi la démarche commerciale ne peut être développée. Ainsi, lors de la prise de contact qui s’effectue sur le pas de la porte, le vendeur se fixe cet objectif. Il ne peut néanmoins solliciter directement l’accès à ce domicile privé. Une question préliminaire vient par conséquent demander la réalisation d’un premier acte qui va préparer le second 702 .

Interaction n°2 :’ ‘1 M : [bonjour’ ‘2 V : [bonjour’ ‘3 C1 : bonjour’ ‘4 V : n’ayez pas peur hein [c’est rien (RIRES)’ ‘5 C1 : [non non je n’ai pas peur j’écoute (RIRES)’ ‘6 V : on fait une petite enquête auprès des habitants du quartier est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à nous accorder ’ ‘7 C1 : mm [c’est à quel sujet/’ ‘8 V : [c: (.) c’est pas très très long c’est absolument pas indiscret c- (.) bonjour monsieur c’est pour savoir comment les gens s’informent/ (.) c’qu’i(ls) regardent à la rad- radio: c’qu’i:(ls) écoutent à la télévision:’ ‘9 C2 : s’informer sur/’ ‘10 V : ben-=’ ‘11 C2 : =la télévision [et tout c’qui est journaux/’ ‘12 V : [voilà sur- voilà (.) pour savoir comment les gens s’informent tout simplement’ ‘13 C2 : ah/ ben: allez-y’ ‘14 V : vous avez un petit coin d’table à nous accorder/ (.) ce s’rait plus confortable/’ ‘15 C2 : entrez’ ‘16 V : me:rci beaucoup’ ‘17 M : merci’ ‘[...]’ ‘((V et M entrent dans l’appartement.))’

Le premier acte sollicité par le démarcheur est celui d’accorder quelques minutes à une enquête. L’accord du particulier permet d’annoncer le deuxième acte requis : entrer dans l’appartement. L’obtention de ce second comportement est l’objectif de cette séquence de l’entrée en porte, et le premier acte sollicité apparaît bien comme un acte préliminaire 703 .

Un premier comportement peu coûteux
(requête initiale)

qui prépare
Un second comportement plus coûteux
(comportement attendu)
Accorder quelques minutes seconde requête Accueillir dans l’appartement

Par cette procédure du pied-dans-la-porte, le vendeur tente donc de faire accepter à son interlocuteur un acte moindre pour, ensuite, pouvoir lui proposer un acte plus coûteux. Le problème est que le tout premier acte, celui d’accepter d’accorder un instant pour répondre à une enquête, est déjà très coûteux. Le coût d’un acte se mesure en fonction des refus qu’il sollicite, et à en juger par le pourcentage de particuliers qui ne répondent pas favorablement à cette requête initiale (78%), le comportement qu’elle requiert semble loin d’être anodin. Il est certain que le second comportement, celui qui est finalement attendu, ne peut pas faire l’objet d’une première et unique requête. En effet, tout porte à croire qu’un démarcheur sollicitant, sans aucun préalable, l’entrée dans l’appartement des particuliers subirait un échec absolu. Néanmoins, la menace que représente cette entrée en porte est telle que le coût du premier comportement sollicité est lui-même important 704 .

L’acte d’accorder un instant au démarcheur, dans le but de répondre à une enquête, est par conséquent problématique. Considérant l’expérience du particulier, il est possible de penser que ce qui est si coûteux, ce n’est pas, en soi, de se prêter à une enquête, mais plutôt de penser que ce n’est pas là le comportement réellement attendu. Ainsi, l’histoire interactionnelle du particulier lui permettrait de songer à l’éventualité de faire l’objet d’une démarche qui repose sur cette technique du pied-dans-la-porte 705 . Il anticiperait alors les actes qui lui seront demandés par la suite. L’interaction en possède d’ailleurs parfois des traces.

Interaction n°4 :’ ‘18 V : on f- fait une petite enquête est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à nous accorder’ ‘[…]’ ‘23 C : si c’est pour vendre quelque chose c’est pas la peine [j’vous l’dis tout d’suite ’ ‘24 V : [non j’vous rassure c’est pou:r ne rien vendre du tout’ ‘25 C : c’est: ben: des livres (.) sûr vous vendez des livres’

Le particulier exprime l’hypothèse que le comportement final attendu dans le cadre de la démarche, au-delà même de cette entrée en porte, est celui d’acheter quelque chose (23C). Le démarcheur s’en défend (24V) et le fait qu’il tente même de rassurer le particulier montre sa conscience quant au coût d’un tel acte. Dans cet extrait, la présence éventuelle d’un objectif autre que celui annoncé est explicité par le particulier. Les cas d’expression d’une telle assurance sont rares mais on peut penser que bon nombre de ceux qui refusent l’enquête proposée le font parce qu’ils soupçonnent que le comportement peu coûteux qui leur est demandé les amènera à la réalisation d’un second acte plus problématique.

Le tout premier acte sollicité est donc coûteux car l’expérience du particulier laisse supposer la présence d’autres actes à venir. Cette requête initiale est pourtant indispensable à l’existence de la seconde, et ainsi à l’obtention du comportement attendu. Un moyen utilisé pour alléger ce coût est de formuler cette première demande de manière indirecte (« est-ce que vous avez ») et de la parer de divers adoucisseurs (« s’il vous plait ») et minimisateurs (deux p’tites minutes ») 706 . Les procédés de la politesse linguistique sont ainsi utilisés pour que la requête initiale ne soit pas trop lourde et que l’acte qu’elle sollicite de la part du particulier soit plus accessible.

Le nombre de refus relevé après cette requête initiale reste important mais le comportement qu’elle requiert est quand même moins coûteux que celui qu’attend le démarcheur au terme de cette entrée en porte. Le premier acte d’accorder un instant à l’enquête proposée est effectivement difficile à extorquer mais lorsqu’il est accepté, l’accès à l’appartement sollicité par la suite est systématiquement accordé. L’effet escompté par cette procédure du pied-dans-la-porte est alors obtenu. Le délai qui sépare l’acceptation du premier comportement et la formulation de la seconde requête est très court puisque, comme le montre l’extrait présenté plus haut, ces deux événements se situent dans deux interventions consécutives (13C2 et 14V). L’obtention du second accord ne pose ensuite aucun problème. En effet, si le premier accord était exprimé quelques sept interventions après la formulation de la requête, le second accord est immédiat (15C2).

Lorsque le particulier accepte d’offrir l’accès à son appartement, l’objectif du vendeur est atteint. Ce n’est néanmoins qu’un micro-objectif. Il s’agit seulement du comportement attendu dans une des séquences de l’interaction. Cet acte obtenu est indispensable à la poursuite de la démarche mais ce n’est pas son but final. Le comportement que constitue l’acte d’achat de l’encyclopédie, c’est-à-dire celui qui motive réellement la démarche, n’est pas encore obtenu. Aussi l’entrée dans l’appartement n’est-elle pas une fin en soi. Elle constitue plutôt à son tour un acte préparatoire aux suivants, sollicités dans l’appartement, et plus coûteux.

Notes
702.

Cette première demande a fait l’objet d’une analyse, sous le point 2.2.5., à travers les termes de question préliminaire à la requête. Nous reprenons ici cette étude, ainsi que l’extrait d’illustration, en les plaçant dans un autre cadre d’analyse qui contribuera à les éclairer encore davantage.

703.

La présentation qui suit est une adaptation d’un tableau relevé dans un ouvrage de Beauvois et Joule (1987 : 96).

704.

Nous y avons d’ailleurs consacré l’entière Première Partie de ce travail.

705.

Nous avons analysé l’histoire interactionnelle du particulier et l’influence que son actualisation pouvait jouer dans le cadre de l’entrée en porte sous le point 1.1.

706.

Ces différents procédés ont été étudiés dans le Chapitre 2.