2. Perspectives

2.1. Le vendeur : un « manipulateur » au pouvoir relatif

Comme nous l’avons envisagé dans l’Introduction Générale, la stratégie appliquée par le vendeur peut être pensée en terme de « manipulation ». Cette manipulation permet d’« obtenir de quelqu’un qu’il émette une conduite (…) dont il aurait préféré se dispenser — et qu’il n’aurait pas émise à la suite d’une simple demande (…) » (Beauvois et Joule, 1987 : 10). Sa force réside dans le fait que, paradoxalement, elle donne au « manipulé » un sentiment de liberté. La manipulation présente

‘(…) l’avantage de ne pas apparaître comme telle et de maintenir autrui dans le sentiment de sa liberté, ce qui est moins négligeable qu’il n’y paraît de prime abord.  (…) En somme les gens se soumettent (parce qu’ils font ce que d’aucuns ont décidé qu’ils fassent) mais ils le font en toute liberté, leur soumission est librement consentie. (Beauvois et Joule, 1987 : 12)’

Il convient tout de même de retenir l’idée d’une « faible résistance » du manipulé 719 . L’étude de notre corpus montre en effet que les particuliers qui acceptent finalement d’acheter le produit ne sont pas ceux qui s’étaient montrés les plus hostiles à la démarche 720 et, qu’à l’inverse, ceux qui émettaient des réserves dès l’entrée en porte ne se sont finalement pas « soumis » à la volonté du vendeur 721 . On pourrait même aller jusqu’à imaginer l’éventualité que le manipulé n’est pas celui qu’on croit.

‘S’il est clair qu’un manipulateur exerce un pouvoir sur sa victime, les révélations mettent un terme à ce pouvoir. Deux solutions s’offrent à celui qui découvre qu’il est manipulé : dénoncer l’auteur de la manipulation ou simuler l’ignorance — solution qui a une connotation stratégique et qui consiste à repousser le moment où les positions (footing) seront identiques, ce qui bien sûr ajoute au cadre une strate supplémentaire. Si la nouvelle donne est donc essentiellement d’ordre cognitif — quelque chose qui se passe dans la tête de celui qui décide de continuer à jouer le jeu —, il reste qu’un événement stratégique a pris place qui sera décisif pour la suite. « Faire comme si de rien n’était », c’est procéder à un mouvement stratégique qui marque le cours des choses et qui ne pourrait être perçu si l’on s’en tenait à une approche comportementalisme et objectiviste des faits. (Goffman, 1991 : 179)’
Notes
719.

L’expression « faible résistance » est utilisée par Breton (1997, Chapitre 8) lorsqu’il cherche à trouver les raisons qui font que les manipulateurs peuvent agir si facilement, dans un climat qui, selon lui, leur est finalement très favorable.

720.

Interactions n°54 et 56.

721.

Interactions n°51 et 53.