L’échec de la contre-culture, en partie dû à son refus de prendre en compte l’ensemble des données du phénomène pop, et en premier lieu son inscription dans la société de consommation, impose aux théoriciens de la chose rock de chercher une nouvelle occurrence de l’association entre rock, jeunesse et rébellion, hors de toute aspiration révolutionnaire. Si le rock assume son incapacité à fournir un modèle de contre-société, il ne renonce pas pour autant à son rôle de dénonciateur des problèmes sociaux subis par la jeunesse. Patrick Mignon 65 relève les propos de John Sinclair, manager du MC5, un groupe de Detroit de la fin des années 60. Celui-ci a pleinement conscience que le public du rock qu’il propose avec son groupe n’est pas celui des étudiants politisés tel qu’il est présenté par les instances de la contre-culture (le journal américain Rolling Stone notamment), mais celui des kids, soit des jeunes prolétaires qui regardent la télévision, lisent des comics, aiment bien se battre pour passer le temps… Des jeunes qui n’iront jamais à l’université et pour qui le rock est la seule culture, le seul appel à quelque chose d’autre. Le rock y gagne une nouvelle authenticité, celle de l’expression d’une population juvénile défavorisée. Il trouve dès lors une nouvelle définition : il n’est plus que les œuvres qui répondent à ce critère, à cet esprit de rébellion (en totale contradiction avec le rock progressif dans lequel s’embourbe les tenants de la contre-culture). ‘«’ ‘ Le rock devient alors une valeur en soi, quelque chose qui excède ce qui reste de la contre-culture et des débris de la révolution rêvée ’ ‘»’ ‘ 66 ’.
Ce nécessaire passage à une autre définition de l’identité du rock traduit le fait que cette dernière soit toujours inscrite dans un contexte historique. Jean-Charles Lagrée considère ainsi que le mouvement social est le véritable auteur de la musique pop. Il prend l’exemple du mouvement punk : celui-ci a permis de ramener le rock au niveau d’un public qui pouvait sentir une distance réelle se creuser avec les recherches de la pop et du rock progressif. Ceci fut possible parce que le punk, contrairement aux mouvements issus des années 60, trouvait son origine non dans une marginalité choisie en opposition au système (comme ont pu le faire les hippies dans une société d’abondance), mais dans une marginalité subie par l’exclusion du travail (due aux nouvelles conditions économiques de la fin de l’expansion des trente glorieuses) 67 . Le social a appelé le punk et le punk a rappelé au rock son caractère social, lui redonnant une dimension politique qu’il semblait avoir perdu avec les désillusions de l’utopie contre culturelle.
Nous pourrions objecter à de tels propos que ceux-ci ne prennent en compte qu’une dimension sociologisante du punk. Or la dimension interne du punk au sein de l’histoire du rock est probablement plus importante : ce mouvement apparaît après des années de règne du rock progressif, où les anciens musiciens révolutionnaires des années 60 se sont transformés en une sorte d’élite musicale (par la reconnaissance médiatique, par la virtuosité instrumentale de leurs morceaux) et sociale (par leurs chiffres de ventes). Le punk apparaît en premier lieu pour sortir de cette impasse esthétique et revenir à l’amateurisme et à la sauvagerie originelle. Les premiers punks sont ainsi américains, et se contentent de plaider pour un retour au fun du rock’n’roll, à la célébration d’une musique basique, facile d’accès et sans prétention (Ramones, Johnny Thunders, accompagnés d’expressions plus poétiques comme Patti Smith ou Richard Hell). Les punks anglais sont certes plus politisés, cherchant à traduire les angoisses sociales d’une génération confrontée à la crise économique et au chômage, mais motivés aussi par la volonté de rompre avec la suffisance élitiste du rock progressif.
Mignon (1996).
idem, p.94-95.
Lagrée (1982) p.153-157.