Soundwriting, sampling et home studio

Si l’influence des musiques électroniques sur le rock est criante en ce qui concerne la composition, un apport moins évident se fait aussi jour, portant sur la méthode d’enregistrement. La techno recueille en son sein des artistes qui reconnaissent à la fois une soumission à la technologie et une liberté gagnée grâce à elle. 311 L’une des plus célèbres figures de la techno, Fatboy Slim, n’hésite pas à avancer que grâce à la technique du sampling, qui lui permet de superposer les uns sur les autres les sons qu’il désire et qu’il a récupérés sur les disques d’autrui, il a « ‘l'impression de piloter un groupe sous acide’ », alors qu’il sait qu’il n’arriverait ‘«’ ‘ jamais à tirer ces choses-là d'un ensemble de musiciens. ’ ‘»’ ‘ 312 ’.

L’intérêt d’une telle technique, c’est que grâce à elle la composition peut devenir le fait de non-musiciens, que les limites instrumentales sont dépassées – la théorie punk mise en pratique. L’importance est désormais accordée aux sons, à la subtilité avec laquelle ceux-ci sont mélangés, et non plus à la seule composition. On écoute des morceaux de musique distingués par leur son, et non plus des chansons centrées autour de la voix et de la mélodie. Le soundwriting (écriture du son) prend de plus en plus de place vis-à-vis du songwriting (écriture de la chanson) : les vrais auteurs des disques deviennent les compositeurs, producteurs, metteurs en sons, et non plus les musiciens qui deviennent interchangeables voire remplaçables par des échantillons de disques. Un groupe fondamental (comprendre initiateur d’un mouvement musical) de la décennie, Massive Attack, est ainsi responsable d’une « ‘imposture brillante ’» révélatrice des bouleversements musicaux dus à l’électronique : ils peuvent ‘«’ ‘ influencer profondément la musique d'aujourd'hui sans être de vrais musiciens ’ ‘»’ ‘ 313 ’. Ce sont aussi des artistes aux qualités d’écriture classiques qui recourent au soundwriting pour améliorer leurs compositions 314

Grâce à la démocratisation du matériel informatique et à la facilité accrue de posséder un home-studio 315 , de nouvelles façons de créer de la musique, délivrées de la pression de l’enregistrement en studio professionnel, se font jour. Que ce soit pour ‘«’ ‘ l’artiste solitaire, expérimentant seul dans son home studio ’ ‘»’ qui devient capable de « ‘dégotter d'ingénieuses trouvailles’ » ; pour le groupe en interne qui, grâce à la liberté accrue de chacun pour les raisons techniques évoquées, connaît un nouveau fonctionnement interne (après avoir réfléchi séparément, « ‘chacun des membres apporte son lot d'expérimentations qui formera un tout collectif’ », alors que précédemment ‘«’ ‘ le leader composait l'ossature des chansons, le groupe les habillait ’ ‘»’) ; ou pour toute une scène qui concrétise un esprit communautaire en pratiquant l’échange de remixes entre artistes 316 . Ces évolutions techniques popularisées par la musique électronique permettent une nouvelle pratique musicale, plus indépendante vis-à-vis des logiques industrielles du milieu discographique : l’ensemble du milieu rock se voit offert de gagner en indépendance. 317 . La création musicale devenant d’un coût bien plus limité qu’auparavant et d’une facilité d’utilisation nouvelle, la presse spécialisée assiste à l’apparition d’objets discographiques issus d’une pratique proche de l’amateurisme, ce qui n’en empêche pas la reconnaissance critique. 318

Notes
311.

La jeune Iranienne Leila avoue sans complexe : « ‘J’utilise l'électronique car ça me permet de faire de la musique. Certainement pas parce que je m'intéresse à la technologie. ’» Bernier, Alexis, "Leila, électrosentimentale", Libération, 14 septembre 2000, p38.

312.

Rigoulet, Laurent, "Recherché pour détournement de sons", Libération, 5 décembre 1998, p31.

313.

Les membres du groupe ne pratiquent aucun instrument (sinon le sample), mais savent par contre demander à des musiciens de rendre effectives leurs visions musicales. Rigoulet, Laurent, "Massive Attack cérébral", Libération, 20 avril 1998, p35-36.

314.

Beck notamment, capable d’écrire des chansons folk, obtient un énorme succès en se démarquant de la production courante par le traitement sonore de ses chansons, qui affole les critiques : « ‘rock dégénéré saupoudré d’électro facétieuse, lounge music rehaussée de déviances hip hop, folk mélancolique zébré de collages festifs ’». In Sabatier, Benoît, "Beck, profession songwriter", Technikart 37, novembre 1999, p70-71.

315.

Studio de chambre, qui consiste généralement à posséder un sampler et un ordinateur pour travailler le son, matériel suffisant pour créer un morceau électronique

316.

Sabatier, Benoît, "Révolution au Studio", Technikart 25, septembre 1998, p54-55.

317.

Un groupe comme Idaho, soutenu par la critique mais dont l’insuccès commercial aurait autrefois condamné le destin, peut par exemple continuer à enregistrer des disques grâce à ces nouvelles technologies, comme l’explique son leader : « ‘Dan et moi, on enregistre tout, partie de batterie, guitares, voix et quelques touches de synthé, sur mon vieil ordinateur, avec le logiciel Pro Tool. C'est facile et pas cher. Ensuite pour avoir un superson analogique, on transporte l'ordinateur dans le studio d'un copain dans la banlieue pourrie de L.A. et on balance le morceau sur son ampex 16 pistes des années 70, on mixe, et voilà !’ » Péron, Didier, "Au dedans d’Idaho", Libération, 3 avril 1999, p27-28.

318.

Lambchop, « ‘secret le mieux gardé d'Amérique’  », est par exemple un groupe loué par les chroniqueurs alors que tous ses membres « ‘ont un autre job pour gagner leur vie ’ » et que ses albums sont « ‘enregistrés le week-end avec des bouts de chandelles ’». Bernier, Alexis, "L’échoppe Lambchop", Libération, 13 Octobre 1998, p34-35.