Les Bandes Originales de Films

Ce nouveau système d’exposition médiatique de la musique via la publicité connaît un précédent avec le cinéma. Depuis 1977 et les ventes records de la bande originale de La fièvre du samedi soir (25 millions d’exemplaires), les industrie discographiques et cinématographiques savent qu’elles peuvent s’associer pour créer des bénéfices partagés. La musique peut servir de publicité à un film autant que l’inverse : tout comme un succès cinématographique peut entraîner celui de la musique entendue lors de la projection, des chansons qui sont des tubes peuvent amener le public vers les films en salle, notamment grâce aux clips qui proposent des extraits des films en question – et qui deviennent ainsi des publicités non déclarées comme telles pour ces derniers. Un film comme The Bodyguard, porté par le titre I will always love you chanté par Whitney Houston, devient par exemple un succès commercial sur tous les plans, discographiques comme cinématographiques, alors que ses producteurs eux-mêmes reconnaissent que le film n’est pas un chef-d’œuvre.

Une bonne bande originale semble ainsi capable d’assurer le succès des grosses productions cinématographiques, alors qu’auparavant c’était plutôt le résultat inverse (un bon résultat du film pouvait espérer faire vendre des bandes originales) qui était espéré. Tout nouveau film à gros budget prend alors en compte dans ses investissements une part réservée à la bande originale, opération il est vrai facilitée par le fait que maisons de disques et studios de cinéma sont souvent contrôlés par les mêmes groupes. Les contrats qui sont passés pour l’exploitation d’une chanson battent à leur tour des records (jusqu’à un million de franc pour une chanson en 1994), car la notoriété d’une chanson peut retomber sur le film qu’elle illustre.

Les musiques sont choisies en raison du public potentiel qu’elles peuvent intéresser et amener au produit vendu. Parallèlement, ce sont les artistes ou leur managers qui espèrent qu’un titre de leur catalogue va se retrouver sur une bande originale, afin de profiter de l’exposition médiatique du film. 988 Ici encore se pose la question de savoir qui profite de l’autre : le cinéma qui espère rencontrer un nouveau public ou la musique qui bénéficie d’un appareil promotionnel supplémentaire. Un rapport nouveau se crée entre les deux genres sur un mode essentiellement commercial : le rock est là pour attirer un public et donner une certaine crédibilité à l’œuvre illustrée 989 , tandis que le cinéma sert de média d’exposition à la musique censée toucher directement son public.Notons d’ailleurs que les jeux vidéos, principaux concurrents du cinéma sur ce terrain du public jeune, tendent eux aussi à s’associer avec des maisons de disques pour proposer au consommateur une bande sonore rock. 990

Le monde du rock apparaît comme le gagnant final de ces associations commerciales : les maisons de disques et les artistes jouissent de l’argent des contrats d’exploitation, et peuvent y gagner en supplément une reconnaissance publique grâce aux outils promotionnels du film. 991 Le cinéma comme la publicité semble devenu le nouvel eldorado de l’industrie musicale, un endroit où l’on a tout à gagner et peu à perdre. Du moins du point de vue financier, car des voix s’élèvent pour dénoncer l’influence malsaine de ce monde sur celui du rock.

Certains textes de critiques musicaux considèrent en effet que le cinéma a en quelque sorte vampirisé le rock. Que l’industrie cinématographique n’a pas simplement assimilé les attentes du public spécialisé, mais les a digérées dans son système. Dans un article rétrospectif, les rédacteurs en chef de Rock&Folk reviennent sur les rapports entre rock et cinéma hollywoodien, ce afin de se demander si ces liaisons dangereuses ne se sont pas faites au détriment du premier, le vidant « ‘de toute sa rebelle substance’ ». L’article rappelle que le rock fut, dès son origine, récupéré par le cinéma. Il n’y a qu’à se référer pour cela à la filmographie d’Elvis Presley, dont le premier film, Love Me Tender bat tous les records de l'époque. L’industrie cinématographique prend alors conscience du public potentiel que peut amener le rock, et se fait fort de lui proposer au cours des décennies suivantes des productions à même de l’attirer, n’hésitant pas à dévoyer les stars de la musique en en faisant d’improbables stars du grand écran, ce au détriment de leur carrière originale 992 . Mais outre cela, la presse spécialisée critique le changement de statut qui s’est opéré dans le rock depuis qu’il s’est acoquiné avec le monde du cinéma et de la publicité.

Notes
988.

« ‘Disons que c'est un pari qui ne coûte rien, relativise le manager de Cracker, combo en vogue sur les campus. on n'a pas grand chose à perdre. Si le film est mauvais et ne marche pas, on n'a aucune responsabilité, on est vite oublié et absous. La musique est un produit de si grande consommation aujourd'hui qu'on ne retient que ce qui marche vraiment.’ » Rigoulet, Laurent, "A Hollywood, la musique est la nouvelle star du cinéma", Libération, 19 décembre 1994, p34-35.

989.

« ‘Plus que tout, on dirait que la BO est le moyen pour Hollywood d'affirmer sa branchitude à la face du monde libre »’ . Manœuvre, Philippe et Soligny, Jérôme, "Vampires de Hollywood", Rock&Folk 382, juin 1999, p50-52.

990.

Blot, David, "Wipeout, musiques du jeu vidéo", Les Inrockuptibles 54, 24 avril 1996, p41.

991.

Un artiste confidentiel comme Elliott Smith va par exemple connaître un certain succès commercial en raison de sa participation à la bande original du film Will Hunting nominé aux Oscars. Cf. Conte, Christophe et Tellier, Emmanuel, "L’homme au bras d’or", Les Inrockuptibles 153, 27 mai 1998, p48-49.

992.

Il n’y a qu’à rappeler le cas originel d’Elvis Presley, dont les amateurs reconnaissent l’affadissement de son potentiel rock dès lors qu’il fut pris sous contrat par un studio hollywoodien pour tourner une série de films. Cf. Manœuvre, Philippe et Soligny, Jérôme, "Vampires de Hollywood", Rock&Folk 382, juin 1999, p50-52.