Document 2 : Présentation historique de la presse rock.

Verlant, Gilles, Le rock et la plume, Paris, Hors Collection, 2000, p15-16

(…) Il n’est pas encore question [dans les premiers journaux parlant de rock] de rock critique, juste d’une bande de jeunes qui parlent avec enthousiasme à une autre bande de jeunes de leurs idoles anglo-américaines favorites. N’oublions pas que la musique elle-même ne véhicule en ces années pré-Beatles/pré-Dylan aucun message digne de ce nom. Plutôt, le rythme est lui-même le message : rythme libérateur, occasion de se défouler, prétexte à affirmer sa différence, inspiration pour adopter un look provocateur, source inépuisable de rêve pour une jeunesse encore engoncée dans un carcan de conventions et de rigueurs (guerre d’Algérie, de Gaulle, puritanisme, absence de contraception digne de ce nom, etc.) Lorsque les chanteurs vont se mettre à questionner (la société, la conscience, la culture, la musique elle-même), leurs fans vont les suivre et parmi eux, ceux qui n’étaient jusque là que des chroniqueurs du rock vont se muer en rock critiques. De leurs idoles ils vont attendre plus que de la musique – même si celle-ci, parallèlement, gagne en crédibilité : on voit apparaître des mélodistes qui font l’unanimité (les Beatles), des virtuoses étonnants (Eric Clapton, guitariste des Yardbirds en 1964-1965), des vagues cohérentes (le British Boom avec les Stones, les Kinks, les Animals, les Them, les Who, etc.) ; on s’aperçoit aussi qu’elle a des racines (le blues) et, déjà, une histoire (les Beatles qui chantent Chuck Berry ou Little Richard, des rockers des années 1955-1957, autant dire une éternité). De leurs stars, les pionniers de la rock critique espèrent donc désormais autre chose que des hits : une attitude, une pose, l’exemple d’un autre mode de vie, le refus d’un système, l’affirmation d’une alternative. Et pour raconter cette expérience, pour l’intellectualiser, une presse plus adulte va voir le jour : Rock&Folk à la rentrée 1966 (après un « zéro » encarté dans le numéro d’été de Jazz Hot), soit avec plus d’un an d’avance sur le magazine américain Rolling Stone, Best en 1968 (...). Puis il y aura les papiers de Lentin dans Actuel, les chroniques « Méchamment rock » de Charlie Hebdo et les autres. (…)