Document 3 : La fascination pour les sixties.

Eudeline, Patrick, "1967, Lost Highway" (extraits), Rock&Folk 356 (avril 1997), p50-54.

1967-1997, trente ans ont passé depuis le premier Velvet et l'acid-rock de Cream et autres Jimi Hendrix. Autant dire qu'il ne s'est rien passé. Et si après 1967, 1998 ?

Pfou ! Pas un jour sans que je ne passe dans le métro devant cette foutue affiche vantant la resucée 1997 de "Hair". Avec ce Trente Ans Déjà : 1967-1997 gros comme un faire-part, ces danseurs pour boys-band singeant la pose extatique originelle. A chaque fois, je ne peux m'empêcher d'évoquer combien en 1977 déjà, avec le film de Forman, tout cela semblait si loin que c'en était obscène. Enfin ! c'était l'été de la haine. Alors, aujourd'hui, avec cette adaptation qui n'est qu'une excuse de plus pour fourguer du vintage, du garanti sur mesure, du placebo nostalgique, histoire, encore une fois, de parer le squelette grimaçant de notre fin de siècle des atours de ce temps-là, de l'année magique... Quand tout ce qui reste plus ou moins, tout ce qui n'a pas été desquamé, putréfié, fossilisé, ce qui, de la bête, bouge encore. Energie, idées, art, rock'n'roll ou tout ce qu'on voudra, tout ce qui peut être réveillé, folle jeunesse et cheveux longs, riffs à la Kinks et disques d'Oasis, Mellotron de Blur ou Hammond samplés, remixes du "Too Fortiche" de Pierre Henry, pantalon à carreaux, franges Françoise Dorléac, réveil militant et tout le saint-tintouin. II devient urgent d'en réinjecter un peu, encore une fois.

Rickenbacker

Mais le temps a passé comme un vrai cauchemar et, trente ans ou pas, il est décidément trop tard. Pourtant 1967 est là, dans les fringues, la musique et même les nouvelles dopes. Plus que jamais intériorise, exploite. Plus que jamais, une obsession récurrente, si évidente que la notion même de revival échappe : on ne pense plus à en accabler Martine Sitbon ou Stéphane Kélian. C'est là, encore une fois, une nostalgie derrière nos lacunes, la solution au vide. Le pire, c'est que 1967 n'a jamais vraiment quitté la scène. D'aussi loin qu'on s'en souvienne. Depuis cette première vague de nostalgie qui signifiait, déjà, que la guerre était finie. Que désormais, il n'y aurait plus que souvenirs. C'était 1969 avec la vague de "Bonnie & Clyde" (et New Vaudeville Band ! John Dummer ! le néo-ragtime et tout le tralala) et surtout du rockabilly revival. Avec "Lady Madonna", Sha Na Na, Earl Vince & The Valiants (approximation rockabilleuse et prête-nom de Fleetwood Mac), les Wild Angels ou le retour des perfectos. Tout cela signifiait bel et bien, on venait de s'en rendre compte, que le rêve était mort, qu'on ne pouvait aller plus loin. 1967 avait été l'absolu zénith. Depuis, on ne put se résoudre à tirer la chasse.

Et nous venons de vivre, tout bonnement, trente ans de nostalgie. En cycles de plus en plus rapprochés, un cauchemar harmonique de fréquences sifflantes.

Oui, je n'ai pas le souvenir d'avoir vraiment (au présent) vécu autre chose. Depuis "Pin Ups" de Bowie, qui signait que toute cette histoire glam-rock était bien une nostalgie des Mods, de l'esprit comme de l'élégant fracas. Groovies, New York Dolls et leurs approximations Pretty Things, le pub rock, et puis évidemment le punk ensuite. Une bande de gamins courant les boutiques vintage pour y dégotter guitares Rickenbacker et Vox, disques de Kim Fowley ou EP des Sonics, Levi's mille-raies à mini-pied-de-poule. Si on va au fond des choses, mod revival, power pop ou ska, Nancy Wilson ou eighties façon Nikky Sudden, TV Personalities ou Rezillos. Tout ce qu'on voudra. N'importe quoi du moment que l'on puisse continuer la fête et l'illusion, à vénérer les mêmes choses. Et le grunge, alors ! des fans du Lennon mal embouché et hurleur qui se la donnaient en syndrome Yardbirds (le feed-back, la fuzz, concept habituel du que le grand riff me croque) sur des Jazzmaster ou des Dan Electro. Oui, l'année 1967 c'est comme la minijupe. Quelque chose qui n'a jamais vraiment disparu, qui galope désormais dans l'inconscient de trois générations, dont la nostalgie perdure depuis. Parce que 1967 était épitomé et aboutissement. C'est cette année-là, rien qu'un exemple, que des pavés furent jetés, pour la première fois, sur des flics parisiens. C'était à l'Olympia. Pour un concert des Rolling Stones. Oui, rien qu'une métaphore, comme cela, au presque parfait hasard : parce que, de quelque bout qu'on la prenne, cette année-là fut dépucelage. Un fameux dépucelage cosmique: le jour où les Martiens sont arrivés. (…)