Boccace et Calvino

Dans le Décaméron on retrouve la structure à cornice (cadre du roman) et le thème du voyage, deux aspects très chers à Calvino. La lecture, en effet, est connotée en tant que voyage comme le montre l’introduction à la IIe journée :

‘La lumière du soleil amenait un jour nouveau. Par les plaisantes chansons dont retentissent les vertes ramures, les oiseaux annonçaient l’aube aux oreilles des hommes. Les jeunes femmes se lèvent, de même que les trois chevaliers, pénètrent dans le jardin et foulent de leur lente démarche les prairies humides de rosée. On se disperse de tous côtés, et l’on s’égaye un long moment à tresser de jolies guirlandes. 40

Et aussi l’introduction à la IV journée :

‘Le soleil avait banni du ciel toutes les étoiles, et dissipé sur terre l’ombre humide de la nuit. Filostratese lève et fait lever toute la brigade. On se rendit au beau jardin, pour y goûter les plaisirs du jour . 41

Dans l’essai I livelli della realtà in Letteratura, qui fait partie du recueil Una pietra sopra, le Décaméron est désigné comme le prototype de nouvelles de la littérature occidentale. Calvino y souligne la valeur de la cornice (cadre roman) :

‘[..] il existe, entre le récit et son cadre, une nette coupure stylistique qui met en évidence la distance entre les deux niveaux. Le cadre de chaque journée du Décaméron est une tableau de la vie heureuse que mènent dans leur maison de campagne les sept jeunes femmes et les trois jeunes gens qui forment le groupe des narrateurs. On se trouve là sur un plan de réalité stylisée, uniformément agréable[..] tout en description d’atmosphères et de paysages, passe-temps et conversations d’une joyeuse cour qui élit chaque jour une reine et clôt la journée par une chanson en vers. Les nouvelles racontées, en revanche, constituent un catalogue des possibilités narratives qui s’ouvrent au langage et à la culture dans une époque où la variété des idéaux de vie constitue une valeur nouvelle, qui est en train de s’affirmer. 42

En affirmant cela Calvino ne veut pas réduire l’importance du cadre roman ou lui donner un rôle décoratif, au contraire, il dit que le cadre est à la fois contenu dans un autre cadre :

‘[..]Le paradis terrestre de cette cour de jeunes gens se trouve enfermé dans un autre cadre, tragique, funèbre, infernal : la peste de Florence en 1348 43

Calvino reprendra de Boccace cette structure à cadredans plusieurs œuvres , et surtout dans Le città invisibili.

Mais contrairement à ce qu’on peut penser, Boccace n’est pas beaucoup mentionné par Calvino dans ses essais et ses réflexions de littérature alors que Dante et l’Arioste sont bien plus présents. 44

Or, on se demande pourquoi un auteur, qui semblerait très proche de Calvino (tout pour la structure cadre du Décameron que pour la connotation de la lecture comme un voyage ) est très peu nommé dans les essais et même presque inexistant dans l’œuvre Pourquoi lire les classiques.

On ne peut pas retrouver l’importance d’un auteur par rapport aux pages qui lui sont consacrées, toutefois, la non-présence constatée de cet auteur nous pousse à nous demander pourquoi il y a une certain priorité de Dante et Arioste et Galilée et pas de Boccace ?

Ou mieux, Dante, l’Arioste et Galilée sont-ils plus proche de Calvino que Boccace ?

Notes
40.

Début de la seconde journée du Décaméron, traduit par J. Bourciez, p. 71. [« Già per tutto aveva il sol recato con la sua luce il nuovo giorno e gli uccelli su per i verdi rami cantando piacevoli versi ne davano agli orecchi testimonianza, quando parimenti tutte le donne e i tre giovani levatisi ne’ giardini se ne entrarono, e le ruggiadose erbe con lento passo scalpitando, d’una parte e in un’altra, belle ghirlande faccendosi, per lungo spazio diportando s’andarono. », Introduzione II giornata, p. 89 ]

41.

Ibidem, Introduzione IV Le Décaméron, traduit par J. Bourciez, p. 267. [« Cacciata avea il sole dal ciel già ogni stella e dalla terra l’umida ombra della notte, quando Filostrato levatosi tutta la brigata fece levare, e nel bel giardino andatisene quivi si cominciarono a diportare. », p. 336 ]

42.

Les niveaux de la réalité en littérature, Traduction de Michel Orcel et François Wahl, dans La machine littérature, (Paris, Seuil, 1984), p. 91. [« tra cornice e novelle esiste un netto stacco stilistico, che evidenzia la distanza fra i due livelli. La cornice d’ogni giornata del Decameron è un quadro della vita felice che conducono nella loro dimora campestre le sette donne e i tre uomini della lieta brigata dei narratori. Siamosu un piano di realtà stilizzata, uniformemente gradevole [..] tutta descrizioni climatiche e paesaggistiche, passatempi e conversazioni della corte giocosa che ogni giorno elegge una regina e chiude la giornata con una canzone in versi. Le novelle raccontate, invece costituiscono un catalogo delle possibilità narrative che si aprono al linguaggio e alla cultura in un epoca in cui la varietà delle forme vitali è un valore nuovo, che si sta affermando proprio allora. » I livelli di realtà in letteratura, dans Saggi I, p. 395.]

43.

Ibidem, p. 91. [« (..)la cornice delle novelle, questo paradiso terrestre della corte galante è contenuta in un’altra cornice tragica mortuaria, infernale : la peste di Firenze del 1348.. »Saggi I, p. 396]

44.

A ce propos voir la fiche Calvino un canone per il millennio (p. 319 ) où on peut bien lire la liste des auteur les plus cités par Calvino dans les essais et vérifier l’absence de Boccace. Par contre il est mentionné dans Le lezioni Americane, dans la leçon Rapidità.