Arioste

L’œuvre de l’Arioste, le Roland Furieux, dès son début se présente comme le poème du mouvement en opposition à l’ordre de la Comédie de Dante.

Calvino définira ce mouvement comme :

‘[…] un mouvement zigzaguant en lignes brisées. Il serait loisible de tracer la ligne générale du poème en suivant sur une carte de l’Europe et de l’Afrique les intersections et divergences de segments : au surplus, le premier chant suffirait à le définir, qui est tout fait de poursuites, rencontres manquées ou rencontres fortuites, égarements, changement de programme. 45

Tous les lieux mentionnés, en fait, deviennent à la fois centre du poème, et les actions des personnages se déroulent dans différents espaces et ils suivent de nombreux itinéraires.

L’espace du poème et du monde reste ouvert et donne l’idée de mouvement.

Paris, par exemple, se présente presque comme le centre géographique du poème, car c’est là que se déroulent plusieurs combats et plusieurs événements :

‘Siede Parigi in una gran pianura
nell’ombilico ha Francia, anzi nel core ;
gli passa la riviera entro le mura
et corre et esce in altra parte fuore :
ma fa un’isola prima, e v’assicura
de la città una parte e la migliore ;
l’altre due (ch’in tre parti e la gran terra)
di fuor la fossa e, e dentro il fiume serra .
Alla città che molte miglia gira
Da molte parti si può dar battaglia ;
ma perché sol da un canto assalir mira,
né volentier l’esercito sbarraglia,
oltre il fiume Agramante si ritira
verso Ponente, acciò che quindi assaglia ;
però che né cittade né campagna
ha dietro (se non sua) fin alla Spagna 46

Mais en fait, il n’y a pas un point géographique, un centre spatial, puisque les différents personnages qui peuplent le poème suivent plusieurs itinéraires.

Un autre centre de gravité du poème est par exemple Il palazzo incantato del mago Atlante qui attire vers lui plusieurs personnages à la recherche de la femme aimée, d’un ennemi ou d’un objet perdu.

Roland lui même reste victime du palais enchanté d’Atlante et après avoir cherché Angélique en France, il se dispose à parcourir l’Italie, l’Allemagne, et aussi la vieille et la nouvelle Castille. Attiré par une voix plaintive il se trouve, enfin, dans un riche et spatieux palais :

‘Di vari marmi con suttil lavoro
Edificato era il palazzo altiero.
[..]
Subito smonta, e fulminando passa
dove più dentro il tetto s’alloggia :
corre di qua, corre di là, né lassa che non vegga
ogni camera, ogni loggia.
Poi che i segreti d’ogni stanza bassa
Ha cerco invan, su per le scale poggia ;
e non men perde anco a cercar di sopra,
che perdessi di sotto il tempo e l’opra 47

Mais il est curieux d’observer de quelle façon est présenté le palais toujours vide et visité par des personnages en quête de quelque chose, par exemple Roland qui recherche sans espoir et courant vers le vide :

‘D’oro e di seta i letti ornati vede :
nulla de muri appar né de pareti ;
che quelle, e il suol ove si mette il piede,
son da cortine ascose e da tappeti.
Di su di giù va il conte Orlando e riede ;
ne per questo può far gli occhi mai lieti
che riveggiano Angelica ….. 48

De même, comme Roland, les prisonniers du magicien Atlante, qu’il retire en quelque sorte de l’action, errent vainement dans les salles du palais et sont, enfin, libérés par Astolfo. Le palais va disparaître et ses occupants, les paladins, continuent à se mouvoir dans différentes directions.

Aussi, donc, le Palais, de la même façon que Paris ne se révèle pas être un espace central, au contraire, juste une étape qui permet aux personnages de se déplacer dans un espace ouvert comme l’est le poème.

Cependant il est important d’observer que les déplacements et les diverses directions sont le produit du hasard et non plus d’une force supérieure. La folie même de Roland reflète une façon d'agir très humaine et éloignée de toute croyance religieuse, au contraire ce sont les actions humaines qui acquièrent un grande importance, l’homme est au centre de l’univers ( comme en témoignent aussi plusieurs peintres de la Renaissance) et la montée d’Astolfe sur la Lune ne sera qu’un bref déplacement et toujours avec une connotation fantastique.

Mais surtout l’absence d’une vision unitaire et ordonnée de l’univers signale le passage à une vision autre que celle du Moyen Age.

Notes
45.

Roland Furieux, Présenté et raconté par Italo Calvino. cit. pag. 27.

[« [..] movimento a linee spezzate, a zig zag. Potremmo tracciareil disegno generale del poema seguendo il continuo intersecarsi e divergere di queste linee su una mappa d’Europa e d’Africa, ma gia basterebbe a definirlo il primo canto (..) in una sarabanda tutta smarrimenti, fortuiti incontri, disguidi, cambiamenti di programma. », Saggi I, p. 762 »]

46.

L. Arioste, Orlando furioso, (Milano, Garzanti, 1974), Canto XIV, 104 -105.

[Paris est sis sur une grande plaine,/ plus qu’au nombril : au cœur même de France ; /À l’intérieurs des murs entre le fleuve, /qui coule, et sort par un autre côté./ Mais, avant de sortir, il forme un île : / la part mieux défendue de la cité. /Les deux autres quartiers (il en est trois) /entre fleuve et fossé sont à l’étroit.

La ville ayant un tour de plusieurs milles,/ on peut donner l’assaut en bien des points ; /Mais voulant l’attaquer sur un seul flanc, /et jà ne point dispersé son armée, /Agramant se retire outre le fleuve, /vers le couchant, pour attaquer de là : derrière lui, / il n’a ville ou campagne /qui ne soit point à lui, jusqu’ en Espagne.

L’Arioste, Roland Furieux, (Paris, Seuil, 2000), traduction de Michel Orcel, p. 537.]

47.

Ibidem, Canto XII, 8-9, p. 270.

[Par un subtil travail, de plusieurs marbres, / était bâti ce beau palais altier. /[..]

Il soute bas et, fulminant, il passe/ où plus profondément l’hôtel s’étend ;/ Il court de-ci de-là et point ne laisse qu’il n’ait vu / toute chambre ou tout balcon, /puis les recoins de chaque salle basse /ayant fouillé, il monte l’escalier et, à chercher là-haut, /il ne perd pas Moins de son temps qui ne l’a fait en bas.]

Roland Furieux, traduction de Michel Orcel, p. 423.]

48.

Ludovico Ariosto, L’Orlando Furioso, Canto XII, 10, p. 270.

[D’or et de soie, il voit des lits ornés ; /Rien n’apparaît des murs et de cloisons,/ car tout, même le sol où l’on s’avance, / se cache sous courtines et tapis. /Le Compte grimpe, et descend, /et retourne, mais ne peut point réjouïr son regard /en voyant Angélique ... p.423. traduction de Michel Orcel.]