Galilée

Calvino se sent très lié à Galilée et fasciné par lui au point de le définir comme son écrivain en prose préféré et aussi le plus grand écrivain italien de tous les siècles . Toutefois, au-delà de cette indéniable admiration, il existe un lien très fort entre les deux écrivains.

Il y a plusieurs éléments qui les rapprochent, tout d’abord, le thème de la lune, ensuite, la précision du langage et aussi la passion pour deux mondes qui s’intègrent : littéraire et scientifique.

Le scientifique Galilée est mentionné très souvent par Calvino dans plusieurs œuvres, - il suffira de lire les deux volumes des essais pour s’en convaincre - et nous pensons qu’il a aussi beaucoup influencé Calvino.

Les passages dans lesquels l’écrivain fait l’éloge du scientifique sont tellement nombreux qu’il sera impossible de les citer tous, toutefois, étant donnée la présence assez constante dans le recueil Una pietra sopra 57 nous nous arrêterons sur les essais Rapporto con la luna et Due interviste su scienza e letteratura.

Ce recueil a été publié en 1980 et réunit quarante deux articles de l’auteur écrits entre 1955 et 1980 dans lesquels il réfléchit sur le sens de la littérature dans la société comme l’indique le sous-titre Discorsi di letteratura e società. Ou comme l’explique mieux Mario Berenghi dans Note et notizie sui testi  ‘«’ ‘ dans ces essais l’écrivain essaie de mettre en ordre ses lectures, ses préférences, ses antipathies, et ses projets. Son horizon culturel change continuellement de l’expérience du néoréalisme à l’avant-garde internationale, de la philosophie de l’histoire à la linguistique et aux sciences humaines, de la  rigueur au désir. Nous pouvons aussi voir dans ce texte l’itinéraire de quelqu’un qui essaie de comprendre et qui n’est jamais satisfait de ses tentatives de se situer ’ ‘»’ ‘.’ ‘ 58

Au contraire, Cristina Benussi soutient que Una Pietra Sopra fixe le parcours d’un écrivain emblématique de la littérature italienne précisément parce qu’il est irrégulier.

Et elle ajoute aussi que dans les essais émerge l’irrésistible veine philosophique et scientifique, inhabituelle dans la tradition italienne. 59

Plutôt que d’un écrivain emblématique il s’agit d’un écrivain toujours très attentif aux changements et aux problématiques de la société qu’il scrute et analyse de très près et minutieusement. Ainsi l’irrégularité connotée négativement par Benussi montre, au contraire, une ouverture à plusieurs cultures, typique chez Calvino et également une propension à des changements de route 60 qui sont parallèles aux changements dans le panorama littéraire international.

Donc l’image de Calvino qu’on découvre dans la lecture de Una pietra sopra est celle d’un écrivain complexe mais jamais découragé face à une société qui se manifeste ‘«’ ‘ comme collapsus, comme éboulement, comme gangrène ’ ‘»’ mais qui, au contraire, essaie de construire une nouvelle littérature qui soit présence active dans l’histoire et orientée vers la construction d’une nouvelle société bien que celle-ci lui apparaisse de plus en plus différente :

‘L’ambition de jeunesse par laquelle j’ai commencé a été le projet de construction d’une nouvelle littérature qui en même temps servirait à la construction d’une nouvelle société. […] Certainement le monde que j’ai aujourd’hui sous les yeux ne pourrait pas être plus opposé aux images que les bonnes intentions constructives projetaient dans le futur.[…] Ce n’est pas pour autant que se décourage l’application à chercher à comprendre, à indiquer, à composer, mais un aspect qui à bien voir était présent dès le début, prend de plus en plus d’importance : le sens du compliqué, du multiple, durelatif et des facettes qui détermine une aptitude de perplexité systématique. 61

Il est intéressant d’observer chez Calvino cette attitude constante de perplexité de « défi au labyrinthe » dans lequel il vit en s’interrogeant continuellement mais aussi en acceptant les transformations comme il le fait par rapport aux découvertes dans l’espace et aux explorations lunaires.

Notes
57.

Le texte Una pietra sopra n’a jamais été traduit intégralement en français mais il existe la traduction de plusieurs essais sous le titre de Machine littérature. Or la différence de titre et le manque de plusieurs essais éloignent le livre de son but principal qui est celui d’analyser le rôle de la littérature dans les années 55-80 et aussi de signaler une rupture avec le passé comme l’indique bien le titre.

58.

Note e notizie sui testi dans Saggi II, p. 2933 : « In essi lo scrittore cerca di mettere in ordine le sue letture, le sue preferenze, le sue antipatie…. In questo scenario in movimento, seguiamo l’itinerario di qualcuno che cerca di capire e che non è mai completamente soddisfatto dei suoi tentativi ». Traduit par nous..

59.

Cristina Benussi, Introduzione a Calvino, (Laterza, Bari, 1989), p. 143 : « Una pietra sopra, dunque, vuole fissare il percorso, che ho cercato di dimostrare, di uno scrittore emblematico della letteratura italiana proprio perché irregolare : « gli eccentrici finiscono per rivelarsi le figure più rappresentative del loro tempo », dice a Maria Corti.. ».

Dans le même essai, Benussi affirme aussi que Calvino dans Una pietra sopra parle de sa passion pour la physique galiléenne et de celle pour Ilya Prigogine. Mais ce dernier semble ne pas apparaître dans ces essais et plutôt être mentionné dans un autre recueil de l’ouvrage Immagini e teorie letture di scienze e antropologia dans Saggi II, p. 2038.

60.

Calvino dans une interview connue à Maria Corti en 1985 utilisait l’expression « cambi di rotta »pour définir son chemin d’écrivain.

61.

Una pietra sopra, dans Saggi I ( Milano, Mondadori, 1995), p. 8-9. [ « L’ambizione giovanile da cui ho preso le mosse è stata quella del progetto di costruzione d’una nuova letteratura che a sua volta servisse alla costruzione d’una nuova società.[..]Certo il mondo che ho oggi sotto gli occhi non potrebbe essere più opposto alle immagini che quelle buone intenzioni costruttive proiettavano sul futuro.[..]Non per questo si scoraggia l’applicazione a cercar di comprendere e indicare e comporre, ma prende via via più rilievo un aspetto che a ben vedere era presente fin da principio : il senso del complicato e del molteplice e del relativo e dello sfaccettato che determina un’attitudine di perpessità sistematica . »Traduit par nous.]