Interview sur science et littérature

De plus, l’auteur explique sa passion pour Galilée dans une interview sur la science et la littérature où il ne trouve pas une vraie opposition entre les deux mais il pense se trouver entre la position de Barthes, contre la science et celle de Queneau pour la science 75 .

En effet, il se situe à mi-chemin entre les deux pôles car il est très lié à la science par ses connaissances et par son éducation plutôt scientifique et aussi par une sorte de passion qui le liera même au groupe de l’Oulipo 76 .

En fait son regard sur le monde, ou mieux, son idéal de regard est nourri de toutes ses connaissances et de sa culture scientifique qui sont indissociables de sa littérature. 77

De la même façon que le regard de Galilée est nourri de la culture littéraire selon Calvino :

‘Le regard sur le monde du Galilée scientifique est nourri de culture littéraire. Si bien que nous pouvons dessiner une ligne Arioste-Galilée-Leopardi comme une des plus importantes lignes de force de notre littérature. 78

Mais l’aspect le plus charmant pour Calvino semble être le langage :

‘Galilée utilise le langage, non pas comme un instrument neutre, mais avec un précision littéraire, avec une continuelle participation expressive, imaginative, et même lyrique. Quand je lis Galilée, j’aime à chercher les passages où il parle de la lune : c’est la première fois que cet astre devient pour les hommes un objet réel, minutieusement décrit comme une chose tangible ; et cependant à peine apparaît-elle qu’on sent, dans le langage de Galilée, une sorte de raréfaction, de lévitation : il se produit comme une suspension enchantée 79

Cette admiration pour Galilée est sûrement liée au sujet de la lune. Mais, de plus, il trace une ligne Arioste-Galilée-Leopardi en la définissant comme l’une des plus importantes forces de notre littérature : et à notre avis cette ligne à laquelle il sera bientôt rallié lui-même perdurera pour la présence du thème de la lune.

C’est la luna limpida de Galilée, la solitaria Luna de Leopardi et la Lune de Astolfo qui rassemblent les trois auteurs préférés de Calvino. Il affirme aussi :

‘Ce que je peux dire, c’est que, dans la direction actuelle de mes travaux, je trouve davantage à me nourrir chez Galilée, pour la précision du langage, l’imagination poétique – scientifique, la construction de conjectures. 80

Pour cette raison Calvino choisit Galilée comme son écrivain préféré et quand Carlo Cassola reprendra cette affirmation en soulignant que Galilée était un scientifique plutôt qu’ un écrivain, Calvino montrera que Dante était aussi, dans un certains sens, un scientifique car bien que dans une autre époque, il faisait également œuvre encyclopédique et cosmologique et surtout il cherchait à travers la parole littéraire à construire une image de l’univers.

En outre, Calvino, met en évidence la présence d’une vocation dans la littérature italienne qui est celle de voir

‘l’œuvre littéraire conçue comme carte du monde et du connaissable [..] C’est une vocation qui existe dans toutes les littératures européennes, mais qui, dans la littérature italienne, a été, dirai-je, dominante sous toutes les formes les plus variées…. 81

Et il marque une ligne qui part de Dante, continue chez Galilée et qu’il aurait lui-même sûrement bien voulu prolonger comme il l’avoue :

‘Au cours des derniers siècles, cette veine est devenue plus sporadique….
Aujourd’hui le moment est peut être venu de la reprendre 82

Et ensuite il affirme

‘J’ai la sensation que la voie que je suis en train de suivre me ramène au véritable noyau oublié de la tradition italienne. 83

Or il est clair ici que notre écrivain se sentait en quelque sorte élu pour continuer cette ligne, lui aussi donc partageait cette vocation d’un côté et d’un autre il affirme la suivre déjà.

Selon Philippe Daros cette représentation est déjà évidente dans le premier livre Il Sentiero dei nidi di ragno  ‘: ’ ‘«’ ‘ tenter de construire, dans l’ordre du langage, une image, une représentation de l’univers, aura constitué ce geste de défi au labyrinthe fondateur de l’œuvre même d’Italo Calvino dans sa totalité, du premier roman Le sentier des nids d’araignée (1947) jusqu’à Palomar (1984) ’ ‘»’ 84 .

Pourtant, on se demande dans quelles œuvres il suit cette ligne, car nous sommes dans les années 60 et ses romans sont encore loin d’être considérés comme des cartes du monde. Peut être que Calvino envisage déjà cet aspect cosmologique. Mais où est-il présent ? Et comment ?

Avant de faire une analyse de cette époque on se demandera aussi comment il construit son image de l’univers et s’il s’agit vraiment d’une image ou de morceaux éparpillés comme les villes invisibles que le lecteur devra reconstruire dans son imagination.

Mais cette vocation est très forte et nous essaieront de voir si vraiment notre auteur peut être rapproché de Dante et de Galilée dans cet ambitieux projet.

A ce propos Alberto Asor Rosa, dans un livre publié récemment, soutient que Calvino se propose comme l’héritier authentique de la tradition littéraire italienne la plus haute en affirmant qu’est peut être déjà arrivé le moment de reprendre la vocation cosmologique entreprise par Dante et suivie par Galilée et maintenant un peu perdue. Selon le critique, notre écrivain se sentirait protagoniste de la littérature italienne passée et contemporaine ; Asor Rosa souligne en effet :

‘Calvino, donc, établit un rapport très complexe entre ses choix individuels et les chances de la littérature italienne. contemporaine, cela n’a pas peut être été assez remarqué (parce que Calvino l’a exprimé de façon discrète, non pas à travers un manifeste, comme auraient été les Leçons [..] On dirait, en bref, que Calvino se propose, à ce moment là, comme un héritier authentique de la tradition italienne la plus haute.  85

Dans cette citation, Asor Rosa identifie bien la candidature de Calvino à ce rôle cosmologique mais dans un autre contexte, celui de Les Leçons américaines ( un contexte plutôt littéraire analysant le rapport de Calvino avec la littérature) où il semble surtout expliquer le protagoniste de Calvino dans le grand projet de littérature.

Mais ce qui nous intéresse c’est la façon d’exprimer son anxiété cosmologique et de voir de plus près comment elle se manifeste dans les essais de Calvino.

Notes
75.

Intervista di Mladen Mechiedo per la rivista « Kolo » di Zagabria, n 10 octobre 1968. Dans Saggi I, p. 229.

76.

Oulipo : Ouvroir de Littérature Potentielle, émanation du collège de Pataphysique de Jarry, où se rencontraient George Perec, le mathématicien Jacques Roubaud, François Le Lionnais et Paul Fournel. Il avait été fondé en 1960 par Queneau et Le Lionnais à l’enseigne de l’union entre la rigueur et la fantaisie. Calvino commence en faire partie depuis une réunion en 1972. Voir l’article de Mario Fusco Calvino entre Queneau et l’Oulipo.

77.

A ce propos il est important de souligner la grande culture scientifique qu’il y a derrière l’homme de lettres Calvino et qu’il s’agit d’une connaissance très approfondie et immense contrairement à la position de Ruggiero Pierantoni dans une conférence sur Calvino et la non science. Il y réduisait les connaissances scientifiques de Calvino en disant qu’il ne représentait pas un pont entre la science et la littérature et que son projet littéraire n’était pas scientifique mais littéraire seulement. Or, la rigueur scientifique chez Calvino est indéniable. Et surtout l’esprit scientifique des différents personnages comme Palomar, toujours en quête en s’interrogeant sur tout et aussi Marcovaldo ou les autres personnages principaux des récits. Il suffit d’observer sa façon de décrire et de scruter la realité pour trouver une réponse. Et Giannina Poletto dans l’essai L’astronomia di Calvino affirme aussi l’intérêt de notre auteur pour le monde scientifique parce que il voudrait décrire la nature, découvrir ses lois et arriver enfin à une vérité absolue en construisant toujours des modèles différents. Mais à son avis ce qui manque à Calvino, c’est une prise de position par rapport aux théories typique chez les scientifiques de profession.

Dans un essai L’opera di Calvino alla luce delle due culture Alberto Oliviero affirme : « Mais entre tant d’aspects et clés de lecture qu’il est possible adopter il faut souligner l’attention pour le regard du monde naturel, l’esprit scientifique qui anime les protagonistes de certaines de ses œuvres» et il définit Palomar « uomo di scienza ».

78.

Entretien sur science et littérature dans , La machine littérature, (Paris, Seuil, 1984), p. 27. [« L’ideale di sguardo sul mondo che guida anche il Galileo scienziato è nutrito di cultura letteraria. Tanto che possiamo segnare una linea Ariosto Galileo Leopardi come una delle più importanti linee di forza della nostra letteratura », Saggi I, p. 232. ]

79.

La Machine Littérature, p. 27. [« Galileo usa il linguaggio non come uno strumento neutro ma come una coscienza letteraria con una continua partecipazione espressiva, immaginativa addiritura lirica. Leggendo Galileo mi piace cercare i passi in cui parla della luna : è la prima volta che la luna diventa per gli uomini un oggetto reale, che viene descritta minutamente come cosa tangibile. Eppure appena la luna compare nel linguaggio di Galileo si sente una specie di rarefazione, di levitazione : ci si innalza in un’incantata sospensione.», Saggi I, p. 232.]

80.

Ibidem, p. 27.[ « Quel che posso dire è che nella direzione in cui lavoro adesso, trovo maggior nutrimento in Galileo, come precisione di linguaggio, come immaginazione scientifico poetica, come costruzione di congetture ».]

81.

Ibidem, p. 28. [« l’opéra letteraria come mappa del mondo e dello scibile, [..] E’ una vocazione che esiste in quasi tutte le letterature europee ma che in nella italiana è stata direi dominante sotto le più varie forme… »]

82.

Ibidem ; « Questa vena negli ultimi secoli è diventata più sporadica….Forse è venuto il momento di riprenderla ».

83.

Ibidem ; « Ho la sensazione che la via che sto seguendo mi riporti al vero alveo dimenticato della tradizione italiana ».

84.

Ph. Daros, Le voyage dans la carte dans Italo Calvino, (Paris, Hachette Supérieur, 1994).

85.

Alberto Asor Rosa, Stile Calvino, (Torino, Einaudi, 2001). [« Calvino stabilisce quindi un rapporto assai complesso fra le proprie scelte individuali e le fortune della letteratura italiana contemporanea, cosa che forse non è stata abbastanza notata (perché Calvino l’ha espressa discretamente, non attraverso un manifesto, un manifesto sarebbo state Le lezioni […] Si direbbe, in sostanza, che Calvino si proponga in quel momento come un erede autentico della tradizione letterearia più alta.» Traduit par nous. ]