Le grand livre de la nature

La passion galiléenne de Calvino se manifeste dans un article écrit par notre auteur à l’occasion d’un séminaire au sujet de Galilée qui s’est tenu à Paris le 4-8 mars 1983 et rédigé en français, ayant pour titre Le grand livre de la nature chez Galilée. 86

Selon Calvino la métaphore la plus fameuse dans l’œuvre du scientifique est celle du livre de la nature écrit en langage mathématique.

‘La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique pas d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit . Il est écrit dans le langage mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. 87

Ici, nous trouvons, deux thèmes-concepts qui sont aussi bien présents dans l’œuvre de Calvino, l’univers considéré comme un livre et l’interprétation des signes éparpillés dans l’univers. Le premier thème représente une grande réflexion dans l’ essai Mondo scritto e mondo non scritto et le deuxième dans les romans, où les personnages essaient d’interpréter les différents signes qui les entourent, Palomar dans la lecture d’une vague, Marcovaldo contre les enseignes lumineuses, le Roi à l’écoute qui essaie d’interpréter les signaux sonores qui arrivent de l’extérieur et aussi le protagoniste de Le Cosmicomiche. Dans le récit Un segno nello spazio est bien présente cette quête des signes et également la difficulté à les interpréter :

‘Il n’y avait plus désormais dans l’univers un contenant et un contenu, mais seulement une épaisseur générale de signes superposés et agglutinés, qui occupait tout le volume de l’espace[..] Il n’y avait plus moyen de fixer un point de référence : la galaxie continuait à tourner, mais moi je ne réussissais plus à compter les tours, n’importe quel point pouvait être celui du départ.  88

Mais surtout dans Les villes invisibles quand Marco Polo dit à Kublai Kan :

‘De retour des missions auxquelles Kublai l’affectait, l’ingénieux étranger improvisait des pantomimes que le souverain devait interpréter : une ville était désignée par le bond d’un poisson qui s’enfuyait du bec du cormoran pour tomber dans un filet, une autre ville par un homme nu qui traversait le feu sans se brûler, une troisième par un crâne qui tenait entre ses dents couvertes de vert- de- gris une perle blanche et ronde. Le Grand Kan déchiffrait les signes, mais les liens entre ces derniers et les endroits visités demeurait incertain : il ne savait jamais si Marco voulait représenter une aventure qui lui serait arrivée au cours de son voyage, l’histoire du fondateur de la ville, la prophétie d’un astrologue, un rébus ou un charade pour indiquer un nom. 89
Notes
86.

Le livre de la nature chez Galilée, dans Exigences et perspectives de la sémiotique, dirigé par H. Parret & H.G. Ruprecht, John Benjamins, Amsterdam, Philadelphia. 1985, II, pp. 683-688. Dans Perché leggere i classici, et le nom de Galilée est suivi par d’ autres classiques de la littérature italienne et étrangère comme Arioste, Balzac, Conrad etc.

87.

Pourquoi Lire les Classiques, p. 61. [« La filosofia è scritta in questo grandissimo libro che continuamente ci sta aperto innanzi agli occhi (io dico l’universo) ma non si può intendere se prima non s’impara a intendere la lingua, e conoscer i caratteri nei quali è scritto. Egli è scritto in lingua matematica, e i caratteri son triangoli, cerchi, ed altre figure geometriche, senza i quali mezzi è impossibile a intenderne umanamente parola ; senza questi è un aggirarsi vanamenteper un oscuro laberinto »]

88.

Cosmicomics, p. 65. [« Nell’ universo ormai non c’erano più un contenente e un contenuto ma solo uno spessore generale di segni sovrapposti e agglutinati che occupava tutto il volume dello spazio[..]Non c’era più modo di fissare un punto di riferimento : la galassia continua a dar volta ma io non riuscivo più a contare i giri qualsiasi punto poteva essere quello di partenza. » Le Cosmicomiche, p. 43.]

89.

Les villes invisibles, (Paris, Seuil, 1974), p. 30. [« Di ritorno dalle missioni cui Kublai lo destinava, l’ingegnoso straniero improvvisava pantomime che il sovrano doveva interpretare [..] Il Gran Kan decifrava i segni, però il nesso tra questi e i luoghi visitati rimaneva incerto : non sapeva mai se Marco volesse rappresentare un’avventura occorsagli in viaggio, un’impresa del fondatore della città, la profezia di un astrologo, un rebus o una sciarada per indicare un nome. », RRII, pp. 373-4.]