L’infini chez Palomar

Le concept d’infini est aussi présent à plusieurs reprises dans Palomar où le voyage du protagoniste se montre comme une recherche dans l’espace et également comme une croissance intellectuelle et cela est un des points les plus importants de la structuration du texte.

Le livre est, en fait, divisé en trois chapitres : Les vacances de Palomar, Palomar en ville et Les silences de Palomar, qui sont aussi partagés en trois sous-chapitres et chaque sous-chapitre est constitué de trois récit brefs.

Chaque texte narratif est contresigné par un titre et par le chiffre 1, 2, 3 qui sont aussi les trois différentes aires thématiques, comme l’auteur le souligne, dans les notes finales :

‘Les chiffres 1, 2, 3 qui numérotent les titres de la table, qu’ils soient en première, deuxième ou troisième position, n’ont pas simplement une valeur ordinale, mais correspondent à trois aires thématiques, à trois genres d’expériences et d’interrogation qui, dans des proportions différentes, sontprésents dans chaque parti du livre. 124

A partir des avertissements de l’auteur s’ouvre tout un réseau d’interprétations et de parcours de lecture simultanés, grâce auxquels nous pouvons suivre les différentes aventures du personnage, Palomar, qui se déplace progressivement dans des espaces délimités.

Mais en vérité, ces espaces et la structure géométrique de l’œuvre semblent inciter le personnage à aller de l’avant et ainsi les espaces deviennent infinis. L’auteur déplace de cette façon le personnage dans trois différents milieux qui reflètent trois situations particulières : de vacances , du quotidien et de méditation.

Et ce qui semblait une attitude statique se traduit en réalité par un parcours à travers la description - récit pour arriver enfin à une méditation qui investit « le moi », le cosmos et l’infini.

Or, nous nous intéressons, à cette troisième aire thématique qui concerne de plus près le sujet de notre étude : l’infini dans Palomar.

Et vu que ‘«’ ‘ Le 3 rend compte d’expériences de nature plus spéculatives, concernant le cosmos, le temps, l’infini, le rapport entre le moi et le monde, les limitations de l’esprit ’ ‘»’ 125 nous portons notre attention sur le récit Il prato infinito. Cet récit fait partie de la série Palomar in giardino - qui comprend aussi Gli amori delle tartarughe et il fischio del merlo – où monsieur Palomar dirige, d’abord, son attention, sur deux tortues qui s’accouplent, ensuite sur le sifflement du merle et enfin sur les brins d’herbe. Mais cette opération se révèle inutile:

‘Mais il est inutile de compter les brins d’herbe, on n’ arrivera jamais à en savoir le nombre. Un pré n’a pas de limites nettes [..]on ne peut pas dire ce qui est pré et ce qui est buisson. 126

Après avoir médité sur l’infinité des brins d’herbe et sur l’incapacité à marquer (délimiter) des limites nettes il étend l’analogie à l’univers :

‘L’univers fini peut être, mais innombrable, aux limites instables, qui ouvre en lui d’autres univers, l’univers, ensemble de corps célestes, nébuleuses, poussières, champ de forces, intersection de champs, ensembles. 127

L’univers lui apparaît, « innombrable » et aux « limites instables » et, comme chaque phénomène observé, illisible et impénétrable.

La meilleure définition de l’infini pour Calvino semble donc être celle d’un univers indéfinissable et au « limites instables ».

Le concept d’infini est de cette façon redondante dans chaque clôture des récits pour être enfin couronné dans les derniers récits de la série I silenzi di Palomar qui constituent une sorte de méditation finale.

Mais ici au concept de l’infini spatial s’ajoute celui de l’infini temporel.

Or, l’inquiétude du temps hors de notre existence est insoutenable 128 et c’est, peut être, pour cela que notre auteur dans la partie finale du texte essaie d’arrêter le temps mais il se rend compte que cela est impossible et alors il laisse l’écriture comme signe de continuité et en quelque sorte d’infini :

‘« Si le temps doit finir, on peut le décrire, instant après instant, pense Palomar, et chaque instant, quand on le décrit, se dilate à tel point qu’on n’en voit plus la fin. » 129

Calvino semble, en somme, être toujours en lutte avec le concept de fini infini.

Notes
124.

Palomar, (Paris , Seuil, 1985), p. 126 :« Le cifre 1, 2, 3, che numerano i titoli dell’indice, siano esse in prima, seconda o terza posizione, non hanno solo un valore ordinale ma corrispondono a tre aree tematiche, a tre tipi di esperienza e d’interrogazione che proporzionati in varia misura, sono presenti in ogni parte del libro. »Palomar, p.130.]

A ce propos voir le paragraphe Le paratexte autoriale, p. 208.

125.

Ibidem.

126.

Palomar, p. 36. [« Ma contare i fili d’erba è inutile, non si arriverà mai a saperne il numero. Un prato non ha confini netti [..] non si può dire cos’è prato e cos’è cespugli.». Romanzi e RaccontiII, p. 899].

127.

Palomar, p. 38. [«L’universo forse finito ma innumerabile, instabile nei sui confini, che apre entro di sé altri universi. L’universo, insieme di corpi celesti, nebulose , pulviscolo, campi di forze, intersezione di campi, insiemi di insiemi.. », Calvino, Romanzi e Racconti p. 900.]

128.

Déjà dans le récit Palomar allo zoo Calvino avait réfléchi sur le temps : « in quale tempo sono immersi ? in quello della specie ? [..] o nel lento raffreddarsi dei raggi del sole. Il pensiero d’un tempo fuori dalla nostra esperienza è insostenibile ».

129.

Palomar, p. 123. [«se il tempo deve finire, lo si può descrivere, istante per istante - pensa Palomar - e ogni istante, a descriverlo, si dilata tanto che non se ne vede più la fine ». Palomar, p. 128].