Palomar et les autres personnages visibles

Nous avons déjà suivi les personnages visibles qui ont le même "chiffre génétique " que Palomar et qui se trouvent dans une position extrême, éloignée, c'est-à-dire aux confins entre normalité et pathologie :Marcovaldo, Quinto, « le moi » de La nuvola di smog et Qfwfq.

En effet, toute la production littéraire de Calvino de l'immédiat après-guerre jusqu'aux années '80 peut être lue comme une sorte d'observatoire, mais un observatoire qui change continuellement de point de vue et d'angle visuel pour pouvoir lire une réalité qui change peu à peu et qui devient de plus en plus difficile à définir.

En reprenant une définition d’Asor Rosa, nous pouvons dire également que les différents livres écrits par Calvino peuvent être considérés comme des variantes possibles du même livre 341 .

C'est encore Asor Rosa qui définit les personnages calviniens : Pin, Cosimo di Rondò, Quinto, Marcovaldo, Amerigo Ormea et Palomar comme des "figures morales" d'un côté et des "incarnations du point de vue de Calvino" de l'autre, parce que chacun d'eux est "un peu San Gérôme, un peu San George, un peu il combat, un peu il se retire, un peu il reflète et un peu il observe".

Or, c'est intéressant de comprendre la manière par laquelle les personnages calviniens observent. Notons, tout d'abord, que leur façon d'observer est très différente et à partir de cela nous pouvons les classer.

Il est important de rappeler que le verbe "regarder" pour Calvino a deux sens : regarder avec les yeux extérieurs ou intérieurs. Et plus précisément en suivant l'indication de Marco Belpoliti - les yeux extérieurs courent devant et derrière pour suivre les phénomènes et les objets du monde visible, mais les yeux intérieurs, eux aussi courent "devant et derrière parmi les choses éparpillées dans la mémoire" et cherchent à trouver une succession et un sens pour les points que la mémoire conserve isolés 342 .

De cette faculté d'imagination, l'expression la plus haute et exemplaire est Kublai Kan. Mais un roi à l'écoute recourt aussi à la faculté d'imagination qui lui permet de créer des images, mais en suivant un parcours singulier. Immobile comme Kublai Kan, le roi à l'écoute ne peut pas explorer directement la realité environnante, alors il crée son expérience dans l'espace grâce à la rumeur qui stimule son imagination et lui permet de tracer les frontières de sa propre géographie intérieure.

C'est pour cela donc que le roi et aussi l'empereur du Catai n'ont pas besoin de se déplacer.

En ce qui concerne les autres personnages précurseurs de Palomar : Marcovaldo, Quinto et « le moi » de La nuvola, Qfwfq se servent plutôt des visions extérieures.

Palomar, par contre, bouge souvent dans l'espace pour explorer le monde réel et scruter aussi le monde intérieur. Mais il regarde aussi en étant immobile, il épuise toutes les possibilités d'observation.

Il est intéressant de voir comment l'auteur déplace ce personnage dans l'espace et comment il arrive à exploiter les façons d'observer les plus differents, pour pouvoir le définir l'observateur par antonomase.

En effet, le voyage de Palomar se présente comme une recherche dans l'espace et aussi comme une croissance intellectuelle, et cela est l'un de points les plus importants de la structuration du texte.

Or, nous chercherons à montrer que le but de l'auteur était d'offrir une sorte de pédagogie du regard. En abordant en premier lieu les éléments paratextuels et ensuite en analysant ce personnage-regard qui cherche à lire la réalité mais surtout les "niveaux de la réalité" pour nous offrir enfin une stratification avec la lecture.

Notes
341.

A. Asor Rosa dans l'article Il punto di vista di Calvino écrit : « I molti libri scritti da Calvino possono essere considerati tante varianti possibili di uno stesso libro, oppure come i molti problemi da lui affrontati non siano che le molteplici formulazioni possibili di uno stesso problema, o, più esattamente, di uno stesso gruppo di problemi ». A.A.V.V. Atti del convegno internazionale (Milano, Garzanti,1988), p. 261.

342.

Marco Belpoliti, Italo Calvino : enciclopedia, arte, scienza e letteratura (Milano, Marcos y Marcos, 1995), p. 95. « […] gli occhi interiori che anche loro corrono avanti e indietro tra le cose sparpagliate nella memoria, e cercano di dare loro una successione , di tracciare una linea tra i punti discontinui che la memoria conserva isolati, strappati dalla vera esperienza dello spazio ».