L’univers illisible de Palomar

L’écrivain, à travers le personnage Palomar, nous donne un exemple de limites dans son imagination de l’univers, surtout dans le récit Il modello dei modelli, où il parle d’un modèle théorique disparu à cause des événements concrets qui ne correspondent pas à une perfection logique. Et alors que, dans un premier temps, cette méthode lui semblait idéale pour affronter les problèmes les plus embrouilles et pour les gouverner :

‘Dans la vie de Monsieur Palomar, il y a eu une époque où il suivait cette règle : premièrement, construire dans son esprit un modèle, le plus parfait, le plus logique, le plus géométrique possible ; deuxièmement, vérifier si le modèle s’adapte aux cas pratiques que l’on peut observer dans l’expérience ; troisièmement, apporter les corrections nécessaires pour que le modèle et la réalité coïncident. 489

Dans un deuxième temps ces principes deviennent inapplicables  :

‘La règle de monsieur Palomar s’était modifiée petit à petit : il lui fallait maintenant une grande variété de modèles, peut-être même transformables l’un dans l’autre selon une procédure combinatoire, pour trouver celui qui convenait le mieux à une réalité qui, à son tour, était toujours faite de plusieurs réalités différentes, dans le temps comme dans l’espace. 490

Dans ce récit l’auteur souligne l’impossibilité de trouver des modèles applicables à la réalité et aussi à la formation d’une abîme qui s’ouvre de plus en plus entre la réalité et les principes pour la maîtriser. Et cette réalité à laquelle parvient Monsieur Palomar est une « réalité mal maîtrisable et non homogénéisable, pour formuler à son propos ses « oui », ses « non » et ses « mais ». Ces doutes et incertitudes concernent aussi la connaissance et la conception de l’univers à propos duquel le protagoniste s’interroge et se pose de plus en plus de questions. Celle de Palomar semble une quête destinée à s’intensifier. Il s’interroge sur la voûte céleste, sur la présence et l’absence de l’univers mais tout reste sans réponse, presque flou. ‘«’ ‘ C’est pourquoi il préfère garder ses convictions à l’état fluide, les vérifier cas après cas et en faire une règle implicite dans son comportement quotidien, dans sa façon de faire ou ne pas faire, de choisir ou d’exclure, de parler ou de se taire’ ‘»’. Toutefois de ses hésitations et incertitudes naissent les incitations à vouloir en savoir plus, (comme l’auteur l’avoue dans la lettre à A. M. Ortese déjà citée. 491 ) A ce propos Marco Belpoliti remarque chez Calvino la présence d’un renoncement à la totalité et aussi une conception de la limitatezza, de la partialité comme une donnée objective et une stratégie de composition 492 . Et notamment ce non savoir représente une invitation à savoir plus, donc une invitation à la connaissance. Cette volonté investigatrice de Calvino est une vocation presque galiléenne, ainsi que la création de modèles pour observer tout phénomène qui tombe sous son regard : la vague, le gecko. Cet univers mystérieux infini de monsieur Palomar ainsi que celui de Qfwfq se rapprochent de celui du « moi » du poème L’infini de Leopardi où un sens obscur incite à représenter d’autres espace sans fin. Et ce sentiment d’étroitesse qui mène à un monde infini est très manifeste dans le texte subjectif Dall’opaco qui résume la vision de l’espace, infinie et complexe de Calvino.

Notes
489.

Ibidem, p. 107. [« Nella vita del signor Palomar c’è stata un’epoca in cui la sua regola era questa : primo, costruire nella sua mente un modello, il più perfetto, logico, geometrico, possibile ; secondo, verificare se il modello s’adatta ai casi pratici osservabili nell’esperienza ; terzo apportare le correzioni necessarie perché modello e realtà coincidano ». Palomar, p. 964.]

490.

Ibidem, p. 109. [« La regola del signor Palomar a poco a poco era andata cambiando : adesso gli ci voleva una gran varietà di modelli, magari trasformabilil’uno nell’altro secondo un procedimento combinatorio, per trovare quello che calzasse meglio su una realtà che a sua volta era sempre fatta di tante realtà diverse, nel tempo e nello spazio ». Palomar, p. 966.]

491.

Lettre à A.M. Ortese, cité dans la première partie, voir Annexe 6.

492.

Marco Belpoliti, Mondo scritto e mondo non scritto, (Milano, Mondadori, 2002), p. 351 « Non solo, dunque, una rinuncia pressochè pregiudiziale alla totalità, ma una concezione della limitatezza, della parzialità, come un dato oggettivo, e insieme come un metodo di lavoro, una strategia compositiva ».