I. Revue des travaux sur les difficultés 1 d’enseignement-apprentissage du concept de réaction chimique

Le concept de réaction chimique est central dans l’étude des transformations de la matière. Il constitue un élément constitutif et fondamental en chimie. Cependant, il est difficile à cerner, il renvoie au concept d’espèce chimique (c’est-à-dire corps pur) qui est le pivot central de la réaction chimique.

Nous allons essayer, en premier temps, de cerner quelques-unes des principales difficultés qui perturbent l’acquisition du concept de réaction chimique du point de vue des obstacles à l’apprentissage.

Durant les 20 dernières années, de nombreux travaux dont les plus importants ont été rassemblés par driver (1985), andersson (1990), nakhleh (1992) et plus récemment par fensham (1994) et garnett & al. (1995), ont révélé les conceptions 2 des élèves sur les concepts et les phénomènes chimiques.

Dans la plupart des cas, le but de ces travaux était de comprendre les différentes explications que donnent élèves à propos de la réaction chimique, leurs conceptions sur la structure de la matière et leurs raisonnements sur sa transformation.

Les travaux de recherches ont impliqué des élèves de différents niveaux scolaires et insistent sur la difficulté d’apprentissage du concept de réaction chimique. Les didacticiens se sont intéressés essentiellement à la réaction de combustion s’appuyant sur le fait que les enfants y sont familiarisés dès leur plus jeune âge et que c’est une réaction simple à réaliser.

Selon méheut (1989), le rapport entre combustible et dioxygène n’est pas installé pour les élèves de collège (11-15 ans) même après enseignement. Elle catégorise le fonctionnement des élèves de la façon suivante :

  • Réponses ne mettant pas en œuvre d’invariant : les élèves s’intéressent à la flamme qui est dotée de propriétés : elle produit de la chaleur, transforme les objets à son voisinage et fait disparaître de la matière.
  • Réponses mettant en œuvre un invariant : invariance de la masse (la masse prise en compte et celle de l’objet mais sans prendre en compte le dioxygène) et invariance des substances et non des éléments (le bois brûlé est encore du bois, l’alcool brûlé est encore de l’alcool et l’eau obtenue était présente dans le combustible).

méheut en conclut que, « les combustions ne sont pas un bon moyen d’introduire la notion de réaction chimique » (p.1007). Toutefois, elle propose quelques directions de réflexion et d’interventions pédagogiques :

  • La combustion des substances organiques conduit à des difficultés, il serait préférable d’étudier la combustion des métaux.
  • Les combustions mettant en jeu des gaz sont sources de difficultés.
  • La flamme et le feu fascinent les élèves ; ceci les empêche de se centrer sur les espèces chimiques réellement impliquées dans la réaction.
  • Il y a confusion entre combustion et changement d’état.

Par ailleurs, stavridou & solomonidou (1998) proposent différents stades lors de la construction du concept de réaction chimique en interaction avec l’appropriation d’autres concepts tels que le changement d’état, la dissolution.

  • Le premier stade est celui de la phénoménologie à l’idée du changement : la réaction chimique est un événement.
  • A ce stade, certains élèves ne considèrent pas la réaction chimique comme un changement mais comme un événement avec des manifestations phénoménologiques par exemple : le changement de couleur. D’autres translatent ces manifestations en un changement des réactifs mais en ignorant complètement le résultat final de chaque transformation.
  • Au deuxième stade, il y a réaction chimique quand deux réactifs donnent quelque chose d’autre.
    • L’existence de deux réactifs initiaux : quelques élèves développent des critères personnels pour l’identification de la réaction chimique. Un phénomène de réaction chimique a lieu quand deux réactifs sont présents à l’état initial, alors qu’ils ne parlent pas de réaction chimique en présence d’un seul réactif.
    • Des nouveaux produits qui se forment : d’autres élèves pensent qu’une réaction chimique résulte de la formation d’un nouveau produit mais ils traduisent ce nouveau produit avec des critères du sens commun par exemple : le nouveau produit formé est simplement quelque chose de différent du réactif initial.
  • Letroisième stade est celui de la relation entre phénoménologie et structure de la matière.

L’assimilation de certaines idées microscopiques enseignées se manifeste dans les définitions du concept de réaction chimique données par les élèves. Le changement de structure peut être vague et recouvrir plusieurs catégories de phénomène (inter, intra-moléculaire), changement d’état autant que réaction chimique. Les phénomènes chimiques sont assez bien identifiés et font référence aux connaissances de la vie quotidienne comme aux connaissances rencontrées au laboratoire. Cependant, il ne fait pas appel au résultat d’une transformation en termes de formation d’un nouveau produit. Le concept de nouveau produit est fragile, il empêche l’élève d’établir une correspondance entre les concepts du niveau atomique et les concepts du niveau manipulatoire.

Cette étude a montré que durant l’enseignement secondaire, les élèves réorganisent leurs domaines conceptuels et construisent le concept de réaction chimique suivant un chemin personnel. La progression des élèves est assez différente de la progression attendue par le programme scolaire.

Les données relatives à l’identification des phénomènes chimiques par les élèves, ont montré que le fonctionnement du concept de la réaction chimique s’améliore avec le temps. En dépit de ce progrès, plusieurs élèves pensent que lorsque le phénomène est une réaction chimique, il va y avoir deux réactifs dans la situation initiale. Les élèves développent probablement cette conception puisque la majorité des exemples de réactions chimiques présentés dans les manuels scolaires ou dans la pratique scolaire utilisent deux réactifs. L’enseignement de la chimie doit tenir compte de cette conception. Les enseignants et les concepteurs des manuels scolaires doivent présenter et discuter plusieurs variétés d’exemples de réactions chimiques incluant des réactions dont une seule substance est présente à l’état initial.

Une défaillance sérieuse révélée par cette étude intéresse le manque de construction du concept de la substance chimique, qui empêche et perturbe le fonctionnement du concept de réaction chimique.

L’enseignement de la chimie donne aux élèves une opportunité pour la construction du concept de réaction chimique, comme un phénomène pendant lequel la substance initiale est transformée en une nouvelle substance différente de l'initiale. Cependant, une condition nécessaire pour une construction adéquate du concept de la réaction chimique est la construction du concept de substance chimique. Les élèves devraient développer des critères scientifiques pour la découverte de nouvelle formation des produits pour être capable de comprendre s'il y a conservation ou changement de l'identité d'une substance pendant une transformation de la matière. La construction du concept de la substance chimique peut faciliter aussi l'établissement de rapports satisfaisants entre les entités du niveau manipulatoire et ceux du niveau atomique.

Une autre étude a été faite par laugier & dumon (2000) sur la construction d’une représentation de la réaction chimique, dans les registres macroscopique et microscopique, par des élèves en classe de Seconde (15-16 ans). Elle montre que lorsque les élèves sont face à une phénoménologie macroscopique et doivent imaginer une phénoménologie microscopique explicative, ils seront face à de nombreux obstacles. Pour les identifier, la méthodologie de travail de ces deux chercheurs suit deux axes : un axe historique et un axe didactique.

L’étude historique permet de déterminer des familles d’obstacles selon les deux registres macroscopique et microscopique.

Selon le registre macroscopique, les auteurs présentent trois types d’obstacles :

  • Obstacle substantialiste : il faut dépasser l’idée que les propriétés des substances sont des éléments doués d’une matérialité.
  • Obstacle perceptif : il faut dépasser l’idée de la perturbation par les phénomènes sensibles qui masquent la transformation chimique (au sens de bachelard g., 1938).
  • Obstacle positiviste : il faut dépasser l’idée que la seule activité permise au chimiste est l’expérience.

De même, selon le registre microscopique, les auteurs présentent deux types d’obstacles :

  • Obstacle mécaniste trivial : il faut renoncer à des propriétés mécaniques.
  • Obstacle réaliste : il faut décrire la réalité avec le seul niveau macroscopique.

Cet axe historique a conduit les deux chercheurs vers une étude didactique afin d’identifier les difficultés des élèves lors de la construction d’une représentation du concept de réaction chimique suivant les registres macroscopique et microscopique.

De ce fait, l’organisation de l’enseignement va suivre un cadre épistémologique qui privilégie les deux registres, et un cadre didactique basé sur une hypothèse constructiviste, sur un débat scientifique des élèves et sur la recherche d’une phénoménologie explicative.

Pour chaque séquence d’enseignement, les deux chercheurs ont choisi un obstacle dont ils voulaient étudier la manifestation chez les élèves. Ils ont alors construit une séquence d’enseignement qui conduit l’élève à affronter l’obstacle choisi, d’expliciter en quoi la séquence s’attaque effectivement à cet obstacle et finalement de fournir une fiche pédagogique à l’enseignant.

Les principaux résultats de cette étude sont les suivants:

  • Lorsque les élèves doivent décrire une transformation qui pense être chimique, les obstacles liés à la phénoménologie macroscopique (substantialiste et perceptif) se manifestent tout de suite. Par exemple, pour la réaction entre l’acide nitrique et le cuivre métal, les élèves attribuent aux réactifs un changement de leurs propriétés : l’acide devient bleu, le cuivre devient liquide ou se transforme en gaz roux.
  • Les élèves présentent des difficultés pour passer au registre microscopique.
  • L’équation-bilan cristallise les difficultés des élèves en chimie : chaque transformation chimique est traduite par une équation-bilan, considérée par les élèves comme un exercice purement mathématique dépourvu de toute signification chimique.
  • L’équation-bilan n’est pas adaptée pour représenter une réaction chimique réalisée dans des proportions quelconques.

Deux autres études ont été faites par carretto & viovy (1994) et barlet & plouin (1994), sur les différents obstacles épistémologiques dans l’apprentissage du concept de réaction chimique et sur l’équation bilan. Toutefois, carretto & viovy (1994) pensent que les obstacles à l’apprentissage du concept de réaction chimique sont nombreux. L’objectif de leur article était de recenser quelques-unes des principales difficultés qui font obstacle à l’acquisition de ce concept suivant deux axes : un premier qui mène à l’analyse du concept de réaction chimique et un deuxième qui porte sur une analyse didactique permettant de proposer quelques pistes facilitant l’enseignement de ce concept.

Pour analyser ce concept, les auteurs ciblent les trois principaux problèmes faisant obstacle à l’apprentissage de ce concept :

  • Problème de définition : le concept de réaction chimique est un concept difficile à cerner au plan microscopique et macroscopique.
  • Description de la réaction chimique : il s’agit d’une approche statique du phénomène en faisant abstraction à l’aspect dynamique.
  • Les langages de la chimie : la construction du concept de réaction chimique nécessite trois types de langages :
    • Le langage naturel : les difficultés d’apprentissage sont dus à l’interférence avec le vocabulaire de la vie courante.
    • Le langage symbolique : la première difficulté provient du langage mathématique puisque les élèves essayent de faire un transfert d’un domaine à un autre ce qui risque d’entraîner des problèmes, la deuxième difficulté découle de la distinction de la signification microscopique et macroscopique de l’écriture symbolique.
  • Par ailleurs, pour une analyse didactique de ce concept, les deux chercheurs proposent cinq pistes :
  • Nécessité d’une approche précoce : retarder l’enseignement de ce concept jusqu’à ce que les élèves atteignent un certain état de développement de la pensée formelle, et la construction par étapes de ce concept en parallèle avec la notion de changement d’état.
  • Approche microscopique ou macroscopique : privilégier une approche macroscopique du concept de réaction chimique, puis aborder l’aspect microscopique par le biais de la structure particulaire de la matière en se basant sur les propriétés physiques des substances.
  • Déroulement de la réaction : ne pas se limiter aux bilans réactionnels, mais plutôt décrire le processus de déroulement de la réaction.
  • Ecriture des équations de réactions : préciser le contenu symbolique du langage utilisé.
  • Réalisation d’expériences : l’importance de la réalisation des expériences par les élèves eux-mêmes, est à la base du processus d’apprentissage.

L’étude de barlet & plouin (1994), portant sur l’équation-bilan en chimie comme source de difficultés persistantes, montre que certaines conceptions persistent à l’entrée à l’université dues à une mauvaise appropriation des concepts liés à l’équation-bilan. Cependant, pour de nombreux étudiants, les difficultés se situent au niveau de l’intégration du facteur temps (vitesse de la réaction), la dualité microscopique - macroscopique ( l’équation chimique fonctionne au niveau microscopique et au niveau macroscopique) et la dualité sens direct - sens inverse (la réaction chimique est souvent conçue dans le sens direct et rarement dans le sens inverse, ceci provient du fait de l’utilisation intensif des réactions totales comme la combustion dans l’enseignement). Pour pouvoir dépasser ces difficultés, les deux chercheurs fournissent des propositions didactiques permettant de clarifier des propositions antérieures proposées par eux-mêmes (barlet, 1993) ou par d’autres (mayrargue, 1993 & dogguy, 1993) s’intéressant à ces mêmes types de difficultés. Ces propositions didactiques concernent essentiellement le langage, qui est actuellement porteur d’ambiguïtés, agissant fortement sur le concept :

  • Equations et réactions équilibrées : le terme équilibrer une équation ou une réaction peut être confondue avec l’équilibre chimique. Les auteurs suggèrent de remplacer ce terme par l’expression « égaliser une équation de réaction ».
  • Equation-bilan et équation de réaction : nécessiter de bien différencier l’équation- bilan de l’équation de réaction, tout en conseillant « d’utiliser le plus tôt possible dans l’enseignement l’équation de réaction (avec des quantités quelconques de matière) à la place de l’équation-bilan (les proportions stoechiométriques sont d’un emploi trop simple) » (p.52).
  • Dualité macroscopique-microscopique : nécessiter d’utiliser le concept d’équation- bilan en allant des états observables (niveau manipulatoire) vers des états modélisables (niveau atomique).
  • Equilibre chimique et réversibilité : nécessité de caractériser l’équilibre chimique par un adjectif n’ayant pas un double sens.

Nous soulignons d’autres points de vue divers sur les difficultés de compréhension du concept de réaction chimique qui, selon ben-zevi & al. (1982) et taber (1998), proviennent de la mauvaise compréhension des concepts de base du modèle atomique et de l’incapacité des élèves à les utiliser pour interpréter des propriétés macroscopiques des substances et des lois de la chimie.

Tout en se basant sur ces travaux, notre recherche tente d’apporter un éclairage supplémentaire sur les difficultés des apprenants (niveau 1er cycle universitaire) lors de la construction du sens du concept de réaction chimique pendant les séances de TP sur les dosages acido-basiques. Afin de définir cette démarche, nous traçons une revue sur les travaux en didactique portant sur les acides et les bases.

Notes
1.

Selon séjourné (2001), le terme difficulté est pris dans le sens où l’on considère qu’un concept est délicat à "comprendre" et à construire par l’élève.

2.

Selon TIBERGHIEN (1994), une conception est un ensemble hypothétique de propositions ou de procédures que le chercheur attribue à l’élève dans le but de rendre compte des conduites de l’élève dans un ensemble de situations données.