1.2.2. Tectonisation et origine de la Dépression de Bangui

D’après les données présentées ci-dessus, la structuration géologique de Bangui est étroitement liée à la tectonique ; la disposition actuelle des collines par rapport à la Dépression de Bangui, mais surtout les différents niveaux du substratum en profondeur obtenus par forage ou sondage nous le confirment. Les géologues ont montré que les chevauchements majeurs et la tectonique cassante se trouveraient à l’origine de la structuration du site. La thèse paraît très probable lorsque nous observons l’escarpement ouest des collines de Gbazabangui et de Daouba-Kassaï qui surplombent la plaine où s’étale la ville (pente de plus de 30° localement) ; en revanche, l’hypothèse de chevauchements majeurs mérite d’être nuancée au vu des informations précises qu’ont apportées à la fois les sondages et les forages sur l’aire du site et sur ses marges immédiates.

En effet, une paléo-dépression tectonique a été reconnue par sondage électrique (Figure 28), centrée sur l’Aéroport de Bangui-Mpoko. A plus de 200 m de profondeur, le substratum calcaire n’est pas atteint, alors qu’à l’usine UCATEX (fabrique de textile) par exemple, située à environ 2 km de là en allant vers le centre-ville, il est relevé à 150 m de profondeur. Or nous notons sur les limites sud de cette dépression, non loin du chenal de l’Oubangui, que le socle est localement profond de 14,5 m (forage 13) et de 20,5 m (forage 20 a) d’après les forages de la JICA ; CORNACCHIA et GIORGI (1985 b) ont aussi noté une profondeur du socle d’environ 40 m sur le site de la Brasserie CASTEL à Bimbo au SO de Bangui (Fig. 29 a et b). De même qu’à Fatima, le substratum s’observe entre 14 et 30 m de profondeur Ainsi, du fait de l’enfoncement graduel du socle, ce paléofossé tectonique devrait avoir du côté des collines (à leur pied) un rebord en marches d’escalier. Cela suppose que les failles soient répétitives et unidirectionnelles, avec l’hypothèse d’une tectonique de cisaillement ; la structuration se serait faite en fonction de la résistance des divers matériaux (quartzites, schistes, calcschistes,…) qui ont sans doute enregistré différemment les pressions et les cassures tectoniques. D’autres informations nous permettent d’abonder dans ce sens. En effet, trois forages réalisés à Bangui (pk 10, site ORSTOM, et site de la CEMAC) ont rencontré un substratum schisteux, un autre au point kilométrique 13 a atteint le socle entre 27 et 30 m de profondeur, avec du quartzite qui se relève au NE ; au Marché à bétail, sur la route de Boali et non loin du pk 12, un forage révèle le substratum carbonaté à 103 m de profondeur, couvert d’un manteau d’altérites kaolinisées.

Figure 28 Schéma interprétatif de la dépression de Bangui et de son remplissage
Figure 28 Schéma interprétatif de la dépression de Bangui et de son remplissage

D’autres (siège du PNUD et un sondage réalisé récemment dans la vallée de la Ngola au pk 11) n’ont rencontré que des lits ou bancs graveleux (qui sont de bons aquifères), respectivement à 104 m et 54 m de profondeur, sans que la roche-mère ait été atteinte. L’affleurement ou l’enfouissement d’un matériau à plus ou moins grande profondeur est donc en partie tributaire de la lithologie et de l’érosion différentielle. Si dans la zone des collines par exemple, nous remarquons une alternance de dômes et de dépressions, les dômes avec quelques barres quartzitiques se présentent comme des noyaux durs qui ont résisté aux poussées tectoniques et pointent en relief ; par contre les dépressions, constituées en général de terrains schisteux, sont des ensembles moins rigides.

A l’échelle continentale, le Craton d’Afrique centrale, dont Bangui occupe la marge Nord, possède un réseau de grands fossés dont seules les extrémités périphériques restent visibles, avec la présence de nombreux petits fossés témoignant d’une phase distensive majeure.

Figures 29 Logs des forages à l’usine UCATEX et à la Brasserie CASTEL (selon CORNACCHIA et GIORGI, 1985 a et b, modifiée)
Figures 29 Logs des forages à l’usine UCATEX et à la Brasserie CASTEL (selon CORNACCHIA et GIORGI, 1985 a et b, modifiée)

L’ensemble de ces fossés a préservé des dépôts d’âge protérozoïque supérieur, antérieurs aux orogenèses panafricaines (600 Ma), qui ceinturent le craton et dont les nappes sont déversées vers son centre de la fin du Précambrien au Cambrien (ALVAREZ, 2000). Dans ce contexte, ROLIN (1992) estime que la chaîne panafricaine du Centrafrique ou chaîne des Oubanguides a été édifiée par cinq grandes phases tectoniques, dont les trois premières furent accompagnées de métamorphisme entre 650 et 600 Ma (BESSOLES et TROMPETTE, 1980 ; MESTRAUD, 1982). La première entraîna le chevauchement des nappes panafricaines vers le sud, de l’unité interne sur l’unité externe. L’ordre d’apparition des deux phases tectoniques est mal établi.

Le site de Bangui appartient à un fossé allongé dans la direction NNO-SSE, atteignant 100 km de large pour 150 km de long au Centrafrique, tout en se poursuivant vers le sud, au Congo et au Nord de la RDC (ex-Zaïre). A partir de Bangui, ce fossé canalise le cours de l’Oubangui selon une direction N-S, en direction de l’aulacogène (fossé intracratonique envahi par la mer) de la Sangha. La fragmentation du craton archéen et l’effondrement d’un réseau de fossés profonds en Afrique centrale aurait débuté il y a environ 950 Ma.

Selon BRUNELLE (1972 b), le calcaire de Fatima devrait être rattaché à la Série de la Yangana, tant par les directions que par les pendages. Les caractères géométriques de la Formation de Fatima nous montrent une même direction NNO-SSE, semblable à l’orientation des Collines de Bangui. Cette direction est également celle des couches du Calcaire de Bobassa (au sud de Bangui). Les deux formations calcaires pourraient donc faire partie d’une même structure ou tout au moins de structures parallèles (PALUD, 1968). Nous notons par ailleurs la forte tectonisation de cette série, comme toutes celles de la région de Bangui d’ailleurs, laquelle se traduit par des turbidites (sédimentation perturbée) et par des failles qui délimitent le gisement, en bordure d’une zone mylonitisée qui s’étend selon une direction NO-SE, immédiatement au NE de Bangui. Cette orientation subméridienne expliquerait les nombreuses discontinuités observées, aussi bien dans les calcaires que dans les formations lithologiques, par un jeu de failles parallèles et rapprochées. En général, sur les cartes géologiques de la région de Bangui, les failles de la zone mylonitisée ne semblent affecter que la série de Mbaïki. Or le Calcaire de Fatima est reconnu dans cette série ; ceci impliquerait une interaction, au niveau du contact des deux séries, des phénomènes tectoniques d’une formation sur l’autre, soit par rejeu soit par engagement simultané des deux formations dans la phase tectonique qui a affecté la série la plus récente. En outre, les nombreux vides (ruptures de pendages ou cavités ?) et pertes d’injection relevés par sondages à Fatima s’expliqueraient par l’activité des failles multiples, mais ils peuvent aussi être dus à une karstification.

Ainsi, nous estimons que la même orientation des couches calcaires et des collines serait due à une même tectonique qui expliquerait la structure de toute la région de Bangui ; il en est de même pour la grande faille qui délimite le fossé-réservoir formant la dépression de Bangui ; il apparaît comme un réservoir hydrogéologique potentiel, pouvant fournir de l’eau potable.