2.6. La question de la karstogenèse profonde

La présence de nombreuses dépressions fermées laisse supposer l’existence de crypto-karsts anciens dans le bassin de l’Oubangui. Dans le site de Bangui, celles-ci se traduisent en surface par des marais et sont caractérisées par un mauvais drainage dans le secteur de plaine (voir §3.2.1., p. 95). En effet, les dépressions des plaines oubanguiennes semblent typiques du paysage des plaines en milieu tropical. La plupart sont peu profondes, et toujours développées dans des matériaux sablo-limono-argileux. Le processus montre qu’un blocage (rôle de la nappe phréatique) intervient rapidement et empêche les cuvettes de prendre de l’ampleur. De cette façon, avant d’atteindre la dépression, le ruissellement en nappe superficiel entraîne de l’humus et des éléments fins argileux qui sont décantés au fond de la cuvette. Une mince pellicule puis un placage argileux plus consistant colmatent le fond de celle-ci et bloquent en partie le processus de blocage exercé par la nappe phréatique de sorte qu’une mare se forme (BOULVERT et SALOMON, 1988).

Parallèlement, la suffosion ou piping est évoquée pour expliquer la morphologie de ces cuvettes. Le ruissellement de surface pénètre dans les fentes de dessiccation et, si le gradient hydraulique est suffisant, il érode les parois de la fente en créant des ravines ou des conduits souterrains aux orifices circulaires. Une topographie pseudo-karstique en résulte. Pour KHOBZI (1972), c’est l’érosion chimique et mécanique qui détermine la formation des dépressions pseudo-karstiques, formées dans du matériel rocheux ou détritique, varié dans sa composition pétrographique : sédiments pyroclastiques andésitiques, diorite quartzifère, granite ou gneiss, alluvions de même nature, grès calcaires ou non. Pour leur part, BOULVERT et SALOMON (1988) estiment que ces dépressions ont leur origine dans les processus d’hydrocompaction ou de soutirage karstique.

Le processus de karstogenèse profonde, selon FOURNEAUX (1988), est lié à l’existence, pendant un temps bref, d’une répartition très hétérogène des pressions dans le massif au début de la recharge. Cette hétérogénéité permet l’expulsion d’eaux profondes plus minéralisées car ayant souvent séjourné longuement dans l’aquifère, et donc le renouvellement des eaux contenues dans les cavités, chenaux, fissures et joints de bancs plus bas que l’exutoire. A propos des cavités, des effondrements surprises dans les années 70 survenus lors des travaux de génie civil, notamment la construction de la piste de Bobangui (4°02’20’’N-18°08’E) et du ranch de la Mbali (4°42’40’’N-18°15’E), ont été observés lorsque les engins lourds ont attaqué la voûte protectrice constituée par une carapace ferrugineuse. De même en pleine ville de Bangui, non loin de l’Office National de la Main-d’Oeuvre (ONMO), un effondrement survenu le 8 août 1977 a formé une cavité cylindrique de près de 18 m de diamètre et d’une profondeur de 20 m environ. Ce « trou » est rempli dans sa majeure partie par l’eau de la nappe phréatique dont le niveau hydrostatique est à peu près de 8 m au-dessous de la surface (LABROUSSE, 1977). De plus, les forages d’exploitation de l’usine UCATEX révèlent une cavité de 8 m de hauteur dans le soubassement calcaire.

Par ailleurs, NICOD et SALOMON (1990) évoquent le rôle de la crypto-corrosion dans la karstogenèse du Centrafrique. Avec le temps, le kuppenkarst ou karst à coupoles (ou à dômes) peut être enseveli sous une couverture détritique émanant des reliefs plus élevés. Si le recouvrement est total et le manteau détritique suffisamment épais pour isoler la roche carbonatée des eaux météoriques et d’infiltration, il peut complètement cesser d’évoluer. Mais si l’enfouissement est partiel ou léger, l’eau dans le sol peut continuer à opérer longtemps. Par exemple lorsque l’assise carbonatée se situe à l’aval morphologique d’un massif cristallin (cas très fréquent), le recouvrement comporte très souvent des sables siliceux et le manteau détritique joue le rôle d’une éponge plus ou moins acide : c’est la crypto-corrosion. Dans un autre cas, le relief peut être dégagé après avoir longtemps évolué sous la compresse détritique : apparaît alors un crypto-karst typique qui retrouve des conditions d’évolution à l’air libre.

Le modelé pseudo-karstique est un des traits morphologiques de la Dépression de Bangui, notamment avec les plateaux cuirassés ou latéritisés et le piémont des collines. Le processus de karstogenèse pose un problème évident pour les aménagements réalisés sur la surface topographique inférieure à 360 m, où en particulier l’habitat ne trouve guère les conditions d’assainissement et de drainage des eaux pluviales.