2. ANALYSE DES FACTEURS SPECIFIQUES A LA VILLE

Ce paragraphe a pour objet de faire ressortir les éléments qui jouent dans les mouvements de l’eau et des sédiments à Bangui. Les facteurs qui influencent le ruissellement et l’érosion sont les formes de dégradation liées à l’humanisation du site. En effet, la dynamique actuelle de l’espace banguissois induit divers façonnements : carrières d’extraction de latérite et de pierres de construction (Fig. 21, pp. 53 et 54), divers terrassements pour la construction des routes, des grands édifices… Cette chaîne de transformations de la topographie prédispose l’espace urbain à un flux considérable de matières lorsqu’il pleut, à cause de l’imperméabilisation du sol.

Les facteurs anthropiques qui expliquent l’accroissement du ruissellement à Bangui, au-delà des caractéristiques hydrodynamiques du sol, sont à notre avis les toitures en tôles d’aluminium qui se comportent comme des surfaces imperméables (non saturées) vis-à-vis des eaux pluviales, même de faible intensité. La collecte de ces eaux sur l’aire des toitures se fait selon une ligne perpendiculaire à la limite de la toiture au sol, ou selon des gouttières. Ainsi, leur concentration devient instantanée au sol et le ruissellement s’ensuit, même lorsque le seuil de saturation du sol n’est pas encore atteint. Interconnectés les unes aux autres, les eaux des toitures peuvent soit arriver aux principaux talwegs collecteurs, soit se constituer en flaques d’eau éparses dans des concessions privées ou sur les voies (routes, rues, ruelles et pistes) qui comportent des nids de poules, comme cela a été mis en évidence dans la ville de Yaoundé par TCHOTSOUA (1995), ou des secteurs déprimés. Nous constatons que ce phénomène est très actif dans les quartiers populaires (non lotis) en raison de la densification des habitations et de leur proximité par rapport aux quartiers résidentiels ; nous remarquons que des aires engazonnées, ou quelquefois l’épandage du gravier, en minimisent l’effet. D’ailleurs, l’étendue des quartiers populaires à Bangui (Fig. 10, p. 35) fait qu’ils fournissent probablement le gros du volume des eaux par rapport aux quartiers résidentiels et lotis. La dominance de la nudité du sol traduit un manque de « culture de l’espace vert », (voir chapitre I, p. 53) ; l’absence de végétation facilite le ruissellement qui emprunte des itinéraires variés selon la pente. Ceci fait que les eaux traversent des concessions et des voies.

L’amont des bassins-versants urbains est constitué par les collines de Gbazabangui et de Daouba-Kassaï. Toutefois, l’exposition des sols de collines, induite par la dégradation du couvert forestier, augmente les phénomènes d’amont en aval. La nudité du sol et la pente (sur versant quartzitique, piémont latéritisé…) font que l’eau qui tombe ruisselle et transporte les sédiments de toutes tailles 27 dont la taille dépend de la hauteur et de l’intensité des précipitations.

Par ailleurs, la préparation anthropique des matériaux disponibles pour l’érosion dans la ville de Bangui suit plusieurs modes : l’extraction des pierres et de la latérite, le balayage des concessions, les aires de jeux des enfants ou de football, les cheminements piétonniers et les voies non bitumées.

L’extraction des pierres de construction et de la latérite, dont l’origine coïncide avec les travaux d’aménagement de la ville,se fait dans des carrières mais les procédés ne sont pas homogènes. Sur les versants des collines, les pierres sont extraites de deux manières. La première consiste à identifier sur les versants des pinacles que les extracteurs, au nombre de 2 ou 3, excavent ou concassent en blocs avec des masses ; puis ils font dégringoler ces blocs dans le talweg qui sert de point de chute et d’axe de collecte. Le passage des blocs détruit la broussaille qui protège et fixe la mince pellicule d’humus de ces lithosols, en créant un couloir (Planche III, Photos A, C, D, E et F). Ce dernier s’agrandit et s’approfondit selon l’intensité de son usage ; quand il pleut, l’eau qui le suit l’entaille et évacue les débris mobilisés par le frottement et la friction dus aux déplacements des blocs. La deuxième manière d’extraire est le creusement des carrières dans les dômes quartzitiques en utilisant des burins, des masses pour concasser les filons ou les blocs de roches in situ. Les itinéraires d’évacuation des pierres vers les points de collecte ont les mêmes caractéristiques morphodynamiques que les couloirs précédents. Les fragments et débris fins sont ensuite transportés par l’eau et aussi par le vent. Quant à l’extraction de la latérite, des engins lourds sont utilisés (type caterpillar, camions…) pour l’excavation et le transport des matériaux vers les chantiers de construction des routes et vers d’autres destinations. Par cette forme de conditionnement anthropique, la latérite entre dans le complexe érosif.

Un processus non négligeable est « l’altération » des débris et leur préparation à l’érosion par le balayage des cours de concessions 28 . Ce processus peut ameublir 1 à 2 mm de la couche superficielle du sol par jour, selon les cas, sous forme de fines, limon, sable et gravier lorsque le sol est gravillonnaire ou latéritisé, comportant des gravillons. Cette préparation du matériel à l’érosion ressemble aux processus observés sur les aires de jeux des enfants ou les terrains de football établis sur sols limono-argileux et/ou latéritisés ; l’activité pratiquée ameublit la couche superficielle du sol ; lorsque l’eau et la pente le permettent, les matériaux s’en vont.

Les cheminements piétonniers et les voies non bitumées se prêtent à l’érosion par leur usure et par leur caractère linéaire. Les piétons, par d’incessants va-et-vient, détachent avec les semelles de leurs chaussures des particules fines ou grossières. Ceci est valable pour des voies faites en latérite ; les passages répétés des voitures et autres engins provoquent la détérioration des agrégats du sol et la dispersion des matériaux par gravité (saltation ou poussières) le long des voies ou dans les rigoles. TCHOTSOUA (1995) a observé et étudié ce phénomène à Yaoundé (Cameroun). Sur les pistes piétonnières à Bangui, la perte de cohésion des sols fournit des particules argilo-limoneuses en surface, et quelquefois des gravillons. Après le passage d’une pluie, nous observons que des particules sableuses peuvent être mises en mouvement ; les eaux de ruissellement suivent les linéaires que les voies contribuent à entailler. Le cas des routes en terre a été exposé dans le chapitre I (§5.6, pp. 57 et 58) ; il révèle qu’à défaut d’urbanisation, les eaux pluviales n’empruntent que des voies, ce qui entraîne pour ces dernières de l’érosion et de la sédimentation. Dans ce contexte, l’activité des animaux mérite d’être soulignée comme l’un des facteurs de préparation du matériel à l’érosion : l’exemple le plus évident est donné par les poules qui quotidiennement grattent le sol pour donner à manger à leurs poussins…

Notes
27.

Des fines aux graviers, voire des blocs de pierres se retrouvent sur certaines voies de la ville de Bangui après chaque averse.

28.

Il se pratique systématiquement tous les matins et peut-être 2 à 3 fois par jour selon que des feuilles d’arbres fruitiers et autres tombées encombrent la cour d’habitation, ou après certains travaux domestiques.