2.2. Les profils transversaux : largeur comparée des chenaux, hauteur des berges et profondeur de la Ngoubagara et de la Ngongonon

Le profil en travers est l’un des degrés de liberté du chenal. La largeur est fonction du débit et augmente de l’amont à l’aval, de même que le rapport largeur/profondeur (BRAVARD et PETIT, 1997). Dans cette étude, nous n’avons pris en compte ici que la Ngoubagara et la Ngongonon qui traversent le cœur de la ville de Bangui selon un parcours N-S (Figure 80). Elles sont supposées subir davantage les impacts de l’urbanisation sur les processus de transfert de matières, en drainant la majeure partie de l’espace urbain ou de l’impluvium ; leurs bassins occupent 25,26 km2, soit environ 1/3 de l’aire de la ville. Nous avons aussi réalisé des relevés transversaux sur les lits de ces cours d’eau et/ou collecteurs en vue de déterminer leur géométrie (largeur, profondeur moyenne et peut-être le périmètre mouillé) nécessaire à l’évacuation des eaux pluviales.

Figures 80 Localisation des transects (points) considérés dans l’établissement des profils transversaux
Figures 80 Localisation des transects (points) considérés dans l’établissement des profils transversaux

Chacun de ces cours d’eau comporte des particularités qui se constatent dans la morphologie des chenaux : les cours amont et moyen de la Ngongonon sont à dominante marécageuse et s’incrustent dans des terrains argileux, alors que le lit de la Ngoubagara à ce niveau est creusé dans des terrains quartzitiques, schisteux et latéritisés pour l’essentiel. De plus, l’extraction des pierres en amont du bassin de la Ngoubagara (Fig. 21 a et b) et la production du matériel ferrugineux donnent un caractère dynamique au talweg par rapport à celui de la Ngongonon, avec des pentes moyennes respectives de 20,8 à 21,2 m.km-1 et 19,6 m.km-1. Ces paramètres méritent d’être relevés dans les caractéristiques transversales des chenaux. Si nous comparons la largeur et la profondeur de la Ngongonon et de la Ngoubagara, depuis leur source jusqu’à leurs cours moyens, ces rivières ont une largeur maximale moyenne de 4 m et ont une profondeur inférieure ou égale à 2 m, soit un rapport d’environ 2 m (Figures 81 a et b).

Le cours amont de la Ngoubagara est fortement humanisé par rapport à celui de la Ngongonon : extension de l’habitat, couloirs d’évacuation des pierres d’extraction sur versants abrupts à sols rocailleux et gravillonnaires. Un canal de drainage a été creusé pour acheminer les matériaux et les eaux provenant de collines ; il se connecte aux talwegs façonnés dans les versants des collines. Les premiers profils en travers (A, B, C, D), dont les dimensions varient de 2 à 5 m de large et de 1 à 3 m de profondeur (soit un rapport de 1,6 à 2 m), sont espacés respectivement de 100 m. A la source existent deux kapokiers 41 qui symbolisent les deux têtes du chenal (Planche VI, Photo D), connectées aux couloirs de drainage remontant les collines. Le talweg à proximité de la source est caractérisé par l’hydromorphie. L’apport des gravillons, fragments et sables des versants, contribuerait à colmater les sources. De là au pont de l’hôpital de l’Amitié, le rapport largeur-profondeur n’a pas beaucoup changé (profils E, F, G, H) : 2-3 m de largeur pour près de 1 m de profondeur, sauf dans les flats marécageux où le lit semble plus large. A la confluence avec la Ngou-Nguélé, la largeur totale de la Ngoubagara est de 12 m contre 8 pour son affluent, et pour des hauteurs de berge et de profondeur qui ne dépassent pas 2 m (rapport de 4 à 6). Ce faible ratioserait la conséquence d’un volume important d’eau et de sédiment transféré en aval : de fait le tronçon présente un chenal anastomosé (profil H).

En aval du pont de l’Amitié, la Ngoubagara dessine à la fois un méandre ancré dont le profil (I) est particulier avec un lit mineur qui est large de 15 m, et un lit d’inondation de près de 100 m (Planche VII, Photo B). La berge concave, fixée dans des brèches quartzitiques qui reposent sur de l’argile beige, est haute de 3 à 4 m, et la berge convexe atteint à peine 2 m ; la profondeur moyenne du lit est de 1,5 m alors que le plan d’eau n’est pas à plus de 10 cm au-dessus du talweg. A près de 1 km en aval, au large de l’ancien cimetière de Galabadja, le lit est large de 8 m avec une hauteur de berge de 1 m en rive droite (profil J). L’eau serpente dans le chenal de la gauche vers la droite ; dans la continuité de la section, des bancs cuirassés influencent aussi la forme du chenal ; ceci se poursuit même au-delà du pont du 8e Arrondissement.

Figure 81 a
Figure 81 a

La Ngongonon a son origine aux sources aménagées dans une dépression localisée entre les versants Ouest des collines et le plateau ou piémont de Gobongo ; le talweg est façonné dans un épais manteau d’altération (6-7 m) constitué d’argile et de régolite, comportant des fines et fragments de quartzites. Le tout repose sur des schistes. La profondeur de ces sources (près de 10 m) fait penser à de petites gorges ouvertes dans des matériaux tendres (Profil A’). Les abords végétalisés ressemblent à la savane-parc ou à la forêt-galerie par contraste avec l’humanisation du bassin-versant. Les chenaux ne sont pas naturels, car aménagés en bassins piscicoles (Planche VI, Photo A). Leur largeur à ce niveau atteint 1 m au maximum, et la profondeur 0,5 à 0,7 m. A 300 m en aval (profil B’), le chenal est coincé de part et d’autre entre des bassins ; le lit est argileux et tapissé de nodules ferrugineux provenant de l’érosion du plateau ou piémont de Gobongo. Par contre, au-delà du pont sur la route du pk 12 à 200 m en aval, le chenal ne se remarque qu’à peine et divague entre des bassins piscicoles (profil C’) : la profondeur du cours d’eau est localement de 5 à 10 cm.

Plus loin, la Ngongonon prend la direction du sud, au large du quartier Damala, après une orientation générale E-O ; le lit majeur (profil D’) est large de 10 m et le lit mineur, de 2 à 3 m, pour une profondeur d’environ 1,6 m. Avant d’arriver à ce tronçon, le rapport largeur-profondeur est faible (soit 1,2/0,5 à 0,8 m, donnant un rapport de 0,63 à 1,5 m notamment dans le flat marécageux qui relaye le pied des collines). Par la suite, le chenal devient anastomosé avec une île qui est large de 3 à 4 m, et couverte de végétation. A Ngou-Lossö (profil E’), le profil semble plus encaissé mais dans de l’argile hydromorphe ; la largeur du chenal fait 2 à 3 m pour 1,5 m de profondeur. Dans cette section, le talweg est toujours à sec, sans gravier ni sable à échantillonner. La difficulté de trouver de sédiments fluviatiles réside dans le fait que les riverains exploitent le fond du chenal soit pour fabriquer des briques, soit pour rehausser les berges dans le but de se protéger contre les inondations. En outre, la zone potentielle de fourniture de graviers n’existe pas ; le cours d’eau ne charrie donc pas de sédiments grossiers qui provoqueraient l’ajustement de la morphologie du lit. Cette dynamique s’observe aussi en amont du pont de Combattant (profil F’).

Que ce soit de la source au pont du 8e Arrondissement (Ngoubagara), ou de la source au pont de Combattant (Ngongonon), sur la route de l’Aéroport Bangui-Mpoko, les lits fluviaux sont encore « naturels », à l’exception de quelques corrections sommaires réalisées par les riverains. Au-delà de cette limite, les profils en travers sont artificiels.

A l’aval, les profils de la Ngoubagara (K, L, M, N et O) ont quasiment une forme en U, ou peu évasée. Leur largeur moyenne est de 6 à 8 m, pour des hauteurs de berge qui varient de 1 à 5 m. L’évolution de ces profils est due soit à l’érosion des berges du chenal, soit à des dépôts d’origine fluviatile ou humaine qui tendent à exhausser le fond du lit d’un côté alors que l’eau entaille de l’autre. Les dépôts sont constitués de débris organiques (broussailles, feuilles de manguiers ou d’arbres coupées) et de sédiments (graviers, sable, limon, argile). Aussi, l’érosion des berges du chenal peut-elle être sous influence humaine lorsque s’installent des briqueteries sur ces argiles : c’est souvent le cas dans l’évolution de ces profils transversaux.

Figure 81 b
Figure 81 b

Quant à la Ngongonon, dans cette partie artificielle du chenal (profils G’, H’, I’, J’, K’ et L’), certains tronçons sont revêtus, d’autres sont en terre : la largeur moyenne oscille entre 3 et 6 m, et la hauteur des berges va de 2 à 5 m (soit un rapport de 1,2 à 1,5), cependant la profondeur de l’eau n’atteint pas 1 m sauf lorsqu’il pleut. La sédimentation dans le chenal modifie sa morphologie ; étant donné que les dépôts sont souvent fins, ils regorgent d’eau, ce qui entretient le développement de la végétation. Ceci peut influer sur l’écoulement des eaux pluviales par l’effet de « bouchon » qui se crée, et de ce fait gêne le transit des flux solides et liquides vers l’aval : cette caractéristique du lit est la même entre le pont de Malimaka-Yangato et le pont Sayez-voir où il est revêtu. Toutefois en aval, l’augmentation de la pente et de la largeur du chenal, atteignant 6 m pour 4 m de profondeur (rapport de 1,5), favorise la reprise des sédiments déposés sur des tronçons non revêtus (I’, J’). Ces dépôts sont colonisés par des herbacées qui occupent le lit encore « naturel », même lorsqu’il est revêtu.

La présentation comparée des profils transversaux de la Ngoubagara (Fig. 81 a) et de la Ngongonon (Fig. 81 b), situe les possibilités de transfert de matières à Bangui. La prise en compte des caractéristiques sédimentologiques et de la végétation des fonds de chenaux nous aide à identifier les problèmes qui se posent aux transferts de l’eau et de sédiment. D’ailleurs, les informations données sur les formes de dépôts dans les types de lits (naturels et artificiels), qui évoluent par végétalisation, nous montrent des cas patents d’obstacles à l’évacuation des eaux pluviales à Bangui. L’analyse de ces profils en travers montre donc une forme d’adaptation à la structure, à la nature des terrains. L’histoire géologique de la région où la ville s’établit met en relief une très forte tectonisation dont héritent les bassins-versants urbains ou périurbains. Ainsi, la plupart des cours d’eau de Bangui et de ses environs que nous avons étudiés sont canalisés par des structures passives, soit en s’écoulant sur d’anciennes lignes de failles, soit en étant orientés par des linéaments : la Nguitto, la Ngola, la Ngongonon ou la Ngoubagara seraient toutes déterminées par cette paléodynamique.

Notes
41.

Ce sont des faux fromagers : Ceiba pentandra ; les vrais (Bombax costatum) poussent plus au nord du pays-voir BOULVERT, 1986.