2.2.1. De leur origine hydrogéomorphologique

Dans la plaine oubanguienne où est localisé le site de Bangui, la présence de nombreuses dépressions en surface est interprétée par l’existence soit d’un paléo-cryptokarst ou d’un cryptokarst, soit par des processus de crypto-corrosion dans la karstogenèse du Centrafrique (BOULVERT et SALOMON, 1988 ; NICOD et SALOMON, 1990) ; FOURNEAUX (1988), quant à lui, parle de processus de karstogenèse profonde à l’origine de ces milieux (II § 2.6 : p. 88). D’après la structure de Bangui, les formations du socle, tantôt carbonatées, tantôt métamorphiques, sont recouvertes par des séries sédimentaires. C’est dans ces dépôts relativement récents, dont certains sont constitués de matériaux sablo-limono-argileux, que nous avons vu les dépressions marécageuses se former par le truchement des mouvements de l’eau entre la surface topographique et le contact socle-couverture. Les logs stratigraphiques des sondages hydrogéologiques de Bangui nous confirment cette structuration des terrains (Figures 26 : p. 69, 29 : p. 75, et 31 : p. 79), et quelques sondages réalisés dans ces bas-fonds mettent en évidence une prépondérance d’argiles avec des intercalations de sables argileux ou de graviers emballés dans une matrice argileuse, et de la latérite ou de l’argile latéritique (voir Figures 97, 99).

Sachant que le site de Bangui occupe un fossé tectonique colmaté par des sédiments (Figure 28 : p. 74), la plupart des marais et marécages sont localisés dans son alignement et là où les calcaires précambriens sont sous-jacents. Trois processus hydrogéomorphologiques sont proposés dans ce contexte, nous les avons repris de BOULVERT et SALOMON (1988) : il s’agit de l’hydrocompaction, du soutirage karstique et de la crypto-corrosion (II § 2.6 : p. 88).

L’hydrocompaction se manifeste par un blocage réalisé par la nappe phréatique au fond d’une cuvette dans des matériaux sablo-limono-argileux ; à son contact en surface, la décantation des dépôts fins provenant du ruissellement de surface entretient le mécanisme de blocage ; de ce fait, l’eau stagne sous forme de mares ou de marais.

Quant au soutirage karstique, ce processus s’observe dans l’évolution de la forme des cuvettes par la suffosion, laquelle s’explique par les eaux de ruissellement qui pénètrent dans les fentes de dessiccation ; si le gradient hydraulique est fort, il érode les parois de la fente des ravines ou des conduits souterrains aux orifices circulaires, par érosion chimique et mécanique. Cela donne une topographie pseudo-karstique.

Enfin, la crypto-corrosion fonctionne lorsque le karst est enfoui sous une compresse détritique siliceuse (cas de Bangui), jouant le rôle d’une éponge pour les eaux météoriques et d’infiltration, ce qui fait que l’érosion du karst en profondeur se traduit en surface par une cuvette ou dépression que la présence de l’eau stabilise ou entretient.

Ainsi, nous pouvons reconstituer l’histoire géomorphologique des dépressions marécageuses du site de Bangui par l’intermédiaire de ces trois processus via le contact ou les manifestations profondes ou superficielles de l’eau. La topographie et la structure d’ensemble (terrains latéritiques en amont se superposant aux terrains argileux en aval, avec leurs pentes respectives – voir Figure 95 : p. 254), et l’abondance de l’eau constituent des potentialités canalisant la dynamique de ces paysages, qui connaissent la stagnation permanente ou temporaire de l’eau dans ces terrains constamment ou momentanément gorgés d’eau que sont les argiles. De ce fait, l’évolution géomorphologique dans l’espace et dans le temps serait en étroite corrélation avec la pente topographique (faible ou nulle) et la permanence ou non de l’eau (convergence des eaux météoriques et de la nappe phréatique superficielle). Toutefois, dans une telle dynamique complexe, nous estimons que les formes d’érosion (en nappe, linéaire), de néotectonique, de gondolement de la surface, de précipitations abondantes, des écoulements catastrophiques ou lents, de décantation… relevant de la paléodynamique du site ont leurs signatures dans le paysage. C’est le cas à travers l’alternance des dépôts fins et grossiers, voire mixtes, qui caractérisent les alluvions dans ces bas-fonds d’après l’analyse de certains profils levés dans le cadre des travaux réalisés (DGM, 1964 ; VINERI et CAUSSE, 1965 ; De BESSES et OUAYO, 1966 ; GOLET-MOKONGANDA et DALLA-ROSA, 1987 ; MANDABA et al., 1992, 1994 ; MANDABA et GOLET-MOKONGANDA, 1998, 1999 a et b).

L’implantation humaine dans un tel cadre assujettit le milieu à une autre évolution, celle qui ne consiste pas forcément à sauvegarder des entités qui ont eu à se former, à s’établir sur un très long pas de temps. C’est ainsi que des formes d’occupation du sol (non réglementaires) ont altéré les zones marécageuses du site de Bangui en raison de la pression foncière exercée par l’essor démographique, réduisant considérablement leur étendue. Bien qu’elles subsistent encore malgré les types d’aménagement, la tendance à la disparition est de plus en plus perceptible.