5.4. Discussion, le poids de l’eau dans l’évolution globale des marais étudiés

Les zones marécageuses sont des espaces humides à cause de l’abondance des pluies qui les entretiennent et de leur géomorphologie, car si Bangui se retrouvait subitement en zone aride, sans précipitations, la morphologie de ces dépressions serait figée comme à l’exemple des vallées sèches des plateaux gréseux du pays (Carnot et Mouka-Ouadda) ; ceci montre combien l’eau est incontournable dans l’évolution de ces milieux. En faisant une synthèse des développements précédents, nous remarquons aussi l’influence passée et actuelle de l’eau sur l’existence des zones marécageuses de Bangui, ce à plusieurs échelles : de la mise en place de leur « substrat » à leur naissance, en passant par leur « évolution humaine » de nos jours.

D’abord, la mise en place de leur « substrat » et la naissance de ces milieux humides sont à mettre sur le compte de l’évolution géodynamique et paléoclimatique depuis le Mésozoïque (BOULVERT, 1996). Cette dynamique, qui a atteint son paroxysme durant le Cénozoïque et s’est auto-entretenue et régulée pendant le Quaternaire (avec des alternances climatiques) pour donner les paysages actuels, a engendré ces dépôts dont sont issues les dépressions marécageuses, par le truchement de l’eau. Ainsi, le processus a commencé avec l’ouverture de l’Atlantique sud, synonyme de dislocation de la Pangée. Il a amélioré la pluviosité à l’intérieur du continent dont l’espace de l’actuel Centrafrique, le climat ayant été tropical humide au Maestrichien (fin Crétacé). L’abondance de l’eau, couplée aux mouvements tectoniques, favorisa l’érosion.

Dans le site de la future ville de Bangui, des fractures ont cisaillé les quartzites mis en relief et des distensions ont créé le fossé tectonique de la Dépression de Bangui, de même que celui dans lequel coule la Yangana au nord de la ville. Le remplissage du fossé a commencé avec des matériaux grossiers, quelquefois avec de la matrice argileuse, alternant avec des dépôts fins, et s’est accompagné de l’altération latéritique qui a marqué ces séries sédimentaires. La formation de l’argile dans les premières couches de ces dépôts d’une certaine puissance serait à l’origine de ces dépressions à Bangui. Car l’argile est un silicate hydraté, pouvant se saturer d’eau jusqu’à 50 % et la transférer par capillarité aussi bien à partir de la nappe superficielle que de la nappe phréatique ; de là, elle devient imperméable et retient de l’eau en surface si la topographie en forme de cuvette ou la géomorphologie le rendent possible. C’est vraisemblablement ce schéma qui explique la présence des zones marécageuses à Bangui et dans sa région, surtout qu’à leur surface la pente est quasiment nulle ; comme elle se sature d’eau, les pluies qui tombent ne peuvent y constituer que des mares, des étangs ou des marais. Toutefois, les pulsations climatiques, voire hydroclimatiques, quaternaires marqueraient les dépôts dans les bas-fonds étudiés, mais leurs séquences sont encore trop mal connues pour faire un calage avec les périodes d’oscillations climatiques aussi bien dans le bassin tchadien que dans celui du Congo.

Quant à ce que nous appelons « évolution humaine » actuelle des zones marécageuses, nous avons fait allusion à la présence humaine progressivement grandissante dans l’espace et dans le temps, et à son impact sur la circulation de l’eau de nos jours dans ces milieux façonnés, en raison de l’urbanisation accélérée ou des formes d’occupation du sol. En effet, il s’est toujours posé le problème du drainage des eaux à Bangui de l’époque coloniale à nos jours, et cette question est persistante probablement en raison de la géomorphologie de la plaine et de l’abondance des précipitations, mais aussi d’aménagements inadéquats. Or l’établissement humain dénude le sol, préludant à un ruissellement généralisé lorsqu’il pleut, et de ce fait la concentration des eaux dans les zones basses marécageuses et mal drainées ne cesse de réactualiser le problème. Cela met en évidence un manque chronique de politique volontariste des administrations (coloniales et post-coloniales) pour résoudre ce problème. La confirmation se traduit par la colonisation des bas-fonds encore fonctionnels, par l’extension de l’habitat sans que l’administration actuelle s’en inquiète, cette occupation du sol n’étant pas planifiée. De cette façon, les conséquences de l’occupation de ces milieux humides se manifestent par les risques d’inondation dus à la concentration des eaux de ruissellement et par l’effondrement des habitations car les terrains argileux saturés d’eau ne sont pas stables quand il pleut. Ainsi, l’évolution passée et actuelle des zones marécageuses est toujours déterminée par l’abondance de l’eau dans le site de Bangui. Nous remarquons que les activités actuelles tendent à supprimer les zones marécageuses du site urbain selon leur degré de fonctionnalité et de non-fonctionnalité. La preuve en est que la superficie de ces zones marécageuses s’est considérablement réduite depuis la fondation de Bangui en 1889 jusqu’à nos jours. En conséquence, les ressources halieutiques et autres que fournissaient ces zones se raréfient de plus en plus à l’échelle urbaine. Nous manquons maintenant d’eaux marécageuses plus proches dans lesquelles nous pouvons pêcher des poissons, comme c’était le cas jusque dans les années 1970 et sur une partie des années 1980. Dans ces anciens marécages, lorsque les édifices ne sont pas solidement construits, l’humidité et la réactivation des processus d’hydromorphie altèrent leur tenue. C’est aussi de cette manière que nous observons encore l’impact de ces milieux « insalubres ».