2.3.1. Les puits traditionnels et la qualité de leurs eaux

Une unanimité de la part des acteurs du secteur de l’eau et de la population existe quant à la pollution de l’eau de la nappe phréatique superficielle extraite des puits : cette pollution serait essentiellement d’origine fécale, mais depuis peu les rejets d’eaux usées de l’usine UCATEX (fabrique des textiles), stockés dans un bac de décantation, se sont infiltrés et ont pollué cette nappe. Cette situation est d’autant plus alarmante que ces rejets, localisés initialement au nord de la ville (quartier Galabadja), tendent à s’étendre du fait du sens de l’écoulement souterrain ou de l’orientation du bassin hydrogéologique en direction du fleuve Oubangui (Figure 34 : p. 94) : nous pouvons estimer la zone infectée à environ 10 km2, voire plus. Cette contamination semble durable (l’usine a arrêté de fonctionner depuis 1993) et bizarre du fait que, pour certains puits, l’on ne s’en rend compte qu’en saison sèche lorsque les puits tarissent : à cette période et selon l’intensité de la sécheresse, les eaux des puits présentent localement une coloration laiteuse et bleue qui est typique de la teinture de l’usine UCATEX ; l’eau puisée est parfois puante. Dans certains cas, l’eau des puits contaminés n’est pas utilisable, même pour les travaux domestiques en raison de la forte teneur en amidon (ou de la teinture) toute l’année. Ceci pousse en général les propriétaires à déverser des ordures ménagères dans ces puits jusqu’à colmater ou remblayer le trou ; cette méthode peut avoir comme conséquence d’intensifier la pollution de la nappe par la décomposition de ces déchets ménagers de tous ordres et non triés. En tout cas, les réserves permanentes de cet aquifère sont affectées par les eaux de teinture de la filature.

La pollution de la nappe superficielle par les eaux usées de l’usine UCATEX, pourtant capitale, ne semble pas prise en compte par les pouvoirs publics sinon elles auraient décidé de sa délocalisation ou engagé des capitaux pour tenter de la dépolluer, et surtout de limiter sa propagation dans l’espace et dans le temps. A ce propos, les analyses chimiques effectuées par CORNACCHIA et GIORGI (1985 a), au laboratoire même de l’usine, de l’eau du puits SU1, montrent que l’eau est acide et devrait être sensible à la pollution par les effluents basiques rejetés (Tableau XXIX). Les variations dans le temps du pH (de 5,4 à 6,6) leur ont permis d’attirer l’attention des responsables de l’usine sur les risques de pollution par les effluents de la filature, et ils ont préconisé le suivi des puits environnants. L’extrême perméabilité superficielle en saison sèche, détectée lors des essais de pompage, peut entraîner très loin par percolation les eaux usées du bassin de décantation, tandis qu’en saison des pluies la nappe qui est proche de la surface entraîne plus facilement une dilution des colorants dans l’ensemble des eaux. Cette extrême perméabilité superficielle en période sèche s’explique par les fentes de dessiccation, nombreuses dans les argiles ; lors des rares pluies, elles fonctionnent en laissant l’eau s’infiltrer, selon NGBOKOTO (1988). L’eau extraite de la nappe superficielle est très ferrugineuse (6 ppm) et s’oxyde très rapidement à l’air libre.

Tableau XXIX : Hydrochimie de la nappe superficielle du puits SU1 à l'usine UCATEX de Bangui (CORNACCHIA et GIORGI, 1985 a)
  11/12/84 18/12/84 26/12/84 04/01/85 15/01/85
TH (°C)
TA
TAC (°C)
pH
Fe (mg.l-1)
Silice (mg.l-1)
Phosphates (mg.l-1)
3,7
0
4,5
5,6
0,15
6
0,5
6
0
6,5
6,6
0,1
6
0,5
5
0
6
5,7
0,15
6
0,5
5
0
5,7
6,2
0,2
6
0,5
2,5
0
3,4
5,4
0,06
6
0,5
N. B. : TH =

La pollution fécale est le fait de la proximité des fosses d’aisance, associées aux maisons, et des puits. D’après les statistiques du recensement général de la population (RGP) en 1988, 57,69 % des ménages à Bangui ne disposaient que d’une eau non contrôlée provenant des puits alimentés par la nappe phréatique superficielle (54,95 %) et des petites rivières qui drainent la ville (2,74 %). Cette proportion concerne les gens qui habitent les quartiers populaires ; cette situation s’exprime particulièrement dans les espaces qui ont échappé à l’urbanisation, et qui, par conséquent, sont sous-équipés : les caractéristiques de l’approvisionnement en eau par arrondissement confirment le déséquilibre entre les quartiers centraux ou résidentiels modernes et les quartiers périphériques (Figure 102) qui abritent le plus souvent les habitants démunis de ressources. L’eau courante et des bornes-fontaines qui vient du traitement des eaux brutes de l’Oubangui ne concerne qu’une faible partie des Banguissois. Par ailleurs, l’analyse des lieux d’aisance (WC modernes et latrines) des 71 336 ménages recensés indique que 89,62 % ont des latrines, contre 6,62 % seulement qui utilisent les WC modernes. Ces données par arrondissement mettent en évidence leur prépondérance surtout dans les quartiers populaires qui sont plus étendus (Figure 103). Ainsi, nous remarquons que le couplage des lieux d’aisance et des puits dans la ville de Bangui atteste des risques auxquels sont exposés les utilisateurs des puits individuels du fait de la prolifération des latrines. Car les latrines, qui n’offrent aucune garantie d’étanchéité, présentent des conséquences sanitaires néfastes sur l’environnement dans les quartiers concernés. Dans ce contexte, la souillure engendrée par les infiltrations de l’eau pluviale ou d’autres eaux polluées en surface au contact des latrines concourt à contaminer les eaux souterraines superficielles dans lesquelles s’approvisionnent encore environ 55 % des ménages à Bangui. Cette situation s’aggrave en saison sèche : la forte baisse du niveau hydrostatique à cette période provoquerait donc une concentration des pollutions au moment où les ménages sont tributaires de l’eau des puits. Or les pollutions d’origine fécale entraînent directement ou indirectement des maladies d’origine hydrique (paludisme, parasitoses, diarrhées, voies respiratoires, maladies infectieuses, fièvre typhoïde). Au-delà de ces risques liés à la proximité des fosses d’aisance et des puits qui caractérisent l’approvisionnement en eau dans les quartiers périphériques, ABDOULAYE (1996) suggère aussi que le mode de captage de l’eau des puits ou des ruisseaux comporte un risque potentiel : l’eau est prise à l’air libre, et elle est souvent exposée à la poussière, à la chute des débris et au ruissellement.

Figure 102 Approvisionnement en eau de Bangui (RGP, 1988)
Figure 102 Approvisionnement en eau de Bangui (RGP, 1988)

Il serait donc essentiel que nous menions une étude qui permettrait de suivre le degré de pollution des puits à l’échelle saisonnière afin de spatialiser les taux de pollution en fonction de la densité humaine, des types d’habitat et des types de lieux d’aisance. Ceci nous aiderait à apprécier la dynamique et le rythme de pollution de cette nappe superficielle ; ce travail devrait contribuer aussi à détecter le rythme de recharge de la nappe dans le souci de quantifier approximativement les pollutions à partir de leurs sources multiformes. De plus, il conviendrait de réaliser une étude des puits contaminés par les effluents de la filature de l’ex-usine UCATEX, particulièrement en saison sèche où ces eaux usées apparaissent avec le tarissement des puits, bien que la pollution soit annuelle et durable dans certains puits. Cela nous permettrait de se rendre compte de l’irréversibilité de cette pollution car cela fait dix ans (depuis 1993) que l’usine ne fonctionne pas et la nappe permanente la contient toujours. Quant à la situation de l’eau souterraine profonde, elle nous paraît encore inquiétante au vu de certaines observations.

Figure 103 Répartition des types de lieux d’aisance à Bangui par Arrondissement (RGP, 1988)
Figure 103 Répartition des types de lieux d’aisance à Bangui par Arrondissement (RGP, 1988)