2.2.1. La colonisation et la dégradation des marais

L’exploitation des ressources fournies par les zones marécageuses, qui étaient autrefois marginalisées du fait de l’hydromorphie de leurs sols et de la présence d’eau une bonne partie de l’année, commence à s’amplifier avec la croissance démographique, laquelle induit des besoins en terrains constructibles, notamment pour ceux qui ont peu de moyens financiers. Nous remarquons que la période transitoire entre les phases de répulsivité et d’attrait des marais, est caractérisée par un développement des cultures maraîchères, des bassins piscicoles, des rizières… (Figure 93) avant que les habitations s’installent ; dans cette période, les hauts niveaux des eaux marécageuses n’ont pas gêné les maisons qui se construisaient sur des terrains exondés. Passée cette étape, le manque de réglementation dans l’usage du sol entraîne une « urbanisation sauvage » de ces milieux, d’où la multiplication des quartiers périphériques sans infrastructures ou support d’assainissement. La gestion des crues et inondations dans les secteurs marécageux nous paraît singulière : les habitants construisent des fossés rectilignes à subrectilignes tout autour de leur concession pour absorber le trop plein d’eau après les précipitations ; ces fossés peuvent aussi servir de drains en temps normal. De plus, lorsque les concessions ou parcelles sont inondées par la concentration des eaux, on peut utiliser des morceaux de bois ou de planches reposant sur des blocs de pierres comme un « pont », reliant la partie exondée au domicile ; quand il n’y a ni morceaux de bois, ni planches, on se sert des blocs de pierres intercalés sur lesquels on marche ou on saute au-dessus de l’eau pour regagner son domicile. En revanche, lorsque les eaux pénètrent dans les habitations, les propriétaires retroussent leurs pantalons ou leurs pagnes pour mettre hors d’eau les biens mobiliers et tous les effets qui sont susceptibles de s’imbiber d’eau, puis ils attendent la baisse des niveaux d’eau pour vider les habitations avec des seaux, des ustensiles comme des bassines, des assiettes, jusqu’à ce que les choses reviennent à la normale en attendant un autre événement pluvieux.

Les conséquences écologiques de cette colonisation des bas-fonds se traduisent par la disparition des ressources palustres : la faune se réduit, la flore est dégradée à plus de 90 % et ne laisse place qu’aux espèces adaptées qui sont généralement des graminées, quelques arbustes, arbres et palmiers à huile (Planche IX). Quant au régime hydraulique, il ne répond plus au cycle naturel en raison des remblais sommaires visant à exhausser, à exonder les sites occupés par les habitations dans le but de les rendre « sains », « viables » ; son rythme est très fluctuant et les hauteurs d’eau n’égalent pas les niveaux d’eau de crue ou d’inondation passés, de sorte que cette baisse de niveau d’eau insinue un probable assèchement. Ce comportement hydraulique semble mettre en relief « l’imperméabilisation du sol » qui limiterait l’infiltration des eaux pluviales vers la nappe phréatique superficielle, génératrice de l’écoulement des marais, mais certaines analyses montrent que plus du quart des pluies s’infiltre à Bangui et environ 300 mm de PE atteignent la nappe : ce taux peut varier en fonction des totaux pluviométriques annuels, induisant des fluctuations annuelles, voire interannuelles. Ainsi, la détérioration du régime hydraulique que nous avons relevée à Bangui est un indicateur important pour rendre compte de la fonctionnalité des marais, car c’est l’eau qui entretient les espèces faunistiques et floristiques ; la baisse des niveaux d’eau ne peut qu’être corollaire de la dégradation de ces zones humides.