3.1.2. Exploitation et alimentation en eau potable : insuffisance du réseau et risque de pénurie

3.1.2.1. La faible adduction en eau et l’insuffisance du réseau

Le premier puits traditionnel creusé par les Pères de la mission Saint-Paul des Rapides vers la fin du XIXe siècle (en 1895) constituait en principe la première exploitation et le début d’une ère d’alimentation en eau potable à Bangui. Ce procédé a fait ses preuves dans l’alimentation des vieilles cités… dans le monde, toutefois il demeure malheureusement le moyen par excellence de fourniture d’eau à plus des trois quarts de la population urbaine ; le reste s’alimente en eau courante (eau de robinet) par pompage de l’eau de l’Oubangui et grâce à une station de potabilisation qui date d’un demi-siècle aujourd’hui. La SODECA, la société para-étatique qui produit et distribue l’eau potable, ne dispose que de 11 000 abonnés (chiffre communiqué par le représentant de cette société lors des travaux en ateliers sur la validation du SDEA : schéma directeur pour l'eau et l'assainissement, en 2000) sur une population que nous estimons à plus de 700 000 habitants. Lorsque nous considérons les bornes-fontaines construites auxquelles les habitants des quartiers populaires s’approvisionnent en eau (Figure 117) ; nous estimons à 150 000 le nombre des personnes qui boivent l’eau potable (ou eau de robinet) à Bangui. Avec ces chiffres, la ville de Bangui représente donc un grand marché pour l’adduction en eau potable.

Le réseau d’adduction est très vieux (adapté à une population de près de 50 000 habitants), avec un débit insuffisant responsable de coupures d’eau, et un nombre de points d’eau trop limité ; depuis 1953 aucun renouvellement n’a été fait ni aucune extension (Tableau XXXV). Bien que les données récentes soulignent un accroissement du nombre des consommateurs, les conditions de la fourniture d’eau potable demeurent stationnaires.

Tableau XXXV : Système actuel de fourniture d'eau dans la ville de Bangui (JICA, 1999 ; SODECA) a-) Volume de captage et de production
Détail par année 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Volume annuel de captage (m3) 6958440 7078637 7601000 7 321 000 7 423 000 7 997 000 7204486 7512190 7554790 8304785
Volume annuel de production (m3) 6851082 6983636 7230000 6 363 000 7 363 000 7 912 000 7124871 7331583 7413079 8197137
Nombre de robinets publics - - 126 - 144 144 - 154 155 156
b-) Types d’abonnés existants
  1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Branchements privés
7 376

-

6 387

6397
- 8221 8261 8697
Commerce & industrie
134

-

907

848
- 2868 3188 3601
Administration & institutions publiques
246

-

248

254
-
1316*

1343*

1652
Robinets publics actifs 116 - 121 117 - 147 147 148
Lavage et Vente d’eau - - - - - 2721 3041** 3453
Autres - - 621 677 - - - -
Total 7 872 7 926 8 284 8 293 - 7052 7719 8854
* Ces chiffres n’incluent pas les données des mois de novembre et décembre.
** Il manque les données du mois de décembre.
c-) Capacité de traitement et de distribution d’eau
  1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Capacité de traitement d’eau (m3/h)
1059

1076

1139

1035

902

915

1039

1045
Moyenne de distribution (m3)
19 500

-

20 000

23 500

-

-

-

-
Ratio facturation (%)
67

68

59

*60
- - - -
Ratio de relance (%)
57

56

52

*49
-      
* ne tient compte que de la première moitié de l’année

De plus, nous remarquons que l’eau actuellement distribuée, du point de vue limpidité, saveur et odeur, ne laisse pas insensibles les consommateurs qui n’arrêtent pas de dire que « l’eau courante n’est pas potable ». Ceci tient à plusieurs arguments. Le premier, c’est que l’eau du réseau tirée au robinet a la même coloration que les eaux brutes de l’Oubangui. Parfois elle est blanchâtre, ce qui traduit la simultanéité du traitement et de la distribution d’eau. L’autre souci est que la consommation de cette eau n’empêche toujours pas la population de souffrir des parasitoses telles l’amibiase, la schistosomiase… ce qui suppose soit des conditions d’hygiène très insuffisantes, soit des traitements chimiques de l’eau destinée à la consommation non satisfaisants. A ce propos, certains spécialistes émettent beaucoup de réserve sur la qualité de l’eau produite : elle n’est pas potable, ceci depuis plus de vingt ans ; d’aucuns estiment que l’épuration de l’eau ne se fait pas avec la même efficacité et compétence que par le passé. Pourtant les résultats d’analyses des eaux prélevées aux robinets et aux bornes-fontaines (BF) montrent que l’eau courante qui alimente la ville est bien « potable »(Tableau XXXVI).

Tableau XXXVI : Quelques résultats d'analyses de l'eau prélevée aux robinets et bornes-fontaines fournis par le Ministère des Mines, de l'Energie et de l'Hydraulique (Archives du Département) a) Les résultats d’analyses de septembre 1999
  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
  ANALYSES BACTERIOLOGIQUES
Colonies 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
E. Coli 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Coliformes 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Strep. Féca. 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Conclusion E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P. E. P.
  ANALYSES PHYSICO-CHIMIQUES
PH 7,0 7,1 7,1 7,0 7,2 7,0 7,0 7,2 7,0 7,1    
Températ. 27 27 27 26 27 27 26 27 27 27    
Cl2 1,6 1,4 1,8 1,1 1,4 1,7 1,5 1,3 1,4 1,4    
NO2 0,00 0,00 0,00 0,00 0,01 0,00 0,00 0,01 0,00 0,00 - -
Turbidité 1,2 1,4 2,0 1,4 1,0 2,1 1,6 1,0 1,2 1,0 - -
MES 1,4 1,6 2,8 1,8 1,2 2,4 2,0 1,4 1,6 1,2 - -
Fer 0,00 0,00 0,01 0,07 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 - -
N.B. : les chiffres arabes (1, 2…) de la première ligne sont les numéros d’ordre des échantillons analysés
Tableau b : Les résultats d’analyses de fin février 2000
Analyses bactériologiques
Echantillons Milieux de culture Observations
  END TTC VF STZ  
Pounguinza 01 00 00 00 Eau potable
Kalité 00 00 00 00 Eau potable
Poukré 00 00 01 00 Eau potable
BF-Benz-vi 00 00 00 00 Eau potable
BF Ucatex 01 00 00 00 Eau potable
Labo FS 02 00 00 00 Eau potable
Barc 00 00 00 00 Eau potable
BF Combattant 00 00 01 00 Eau potable
Campus Université 01 00 00 00 Eau potable
Mingala 00 00 01 00 Eau potable
Analyses physico-chimiques
Echantillons Résultats d’analyses
  PH Cl2 NO2 Turbidité MES
Pounguinza 7,0 1,2 27 0,000 2,13 1,2
Kalité 6,8 1,2 27 0,001 1,4 2,0
Poukré 7,2 1,1 27 0,00 1,1 2,24
BF-Benz-vi 7,0 0,8 26 0,00 2,0 1,0
BF Ucatex 6,9 1,2 27 0,00 1,2 1,6
Labo FS 7,0 1,2 27 0,00 1,8 2,1
Barc 7,2 1,1 27 0,00 1,3 2,0
BF Combattant 6,2 1,4 27 0,00 1,0 1,24
Campus Université 7,2 1,2 26 0,00 1,8 2,30
Mingala 7,2 1,10 27 0,00 2,24 1,0

Ces démonstrations laissent planer beaucoup de doute étant donné que l’Etat est actionnaire dans la société qui distribue l’eau ; cela suppose qu’il peut masquer certaines réalités vu qu’il ne dispose pas de ressources pour résoudre cette question, et qu’il n’a pas non plus fait d’efforts notables pour « offrir » l’eau de boisson à tous les citadins.

Concernant l’approvisionnement en eau potable de Bangui, nous remarquons  une disparité parmi la population citadine : d’un côté, une minorité de gens qui habitent les quartiers lotis (Figure 10), desservis par les voies où l’eau courante existe, et de l’autre, la majorité habitant les quartiers populaires qui ne boit que l’eau de puits ou celle des fontaines publiques. Dans le second cas, LEMOTOMO (1977) estime que l’approvisionnement en eau de la population de Bangui se fait soit par un puits personnel, soit par un puits voisin, soit à une fontaine publique plus ou moins lointaine 52 . Ceux qui utilisent le puits d’un voisin ont souvent moins de 100 m à parcourir. Lorsqu’il s’agit de chercher de l’eau à la fontaine publique, les gens ont environ 500 m de trajet (voir Fig. 117). Aussi une partie des habitants boit-elle de l’eau de pluies recueillie sous les tôles ondulées des habitations, alors que normalement elle contient des impuretés (toit rouillé, dépôt de poussières en saison sèche). L’eau des pluies constitue une piste à développer plutôt que d’utiliser l’eau polluée des puits traditionnels. Le réseau primaire de Bangui comptait 60 km de conduites en 1973 et la consommation moyenne par individu et par jour était de près de 25 litres (LEMOTOMO, op. cit.). L’usine d’eau située à la Corniche a une capacité de production de 300 m3.heure-1, soit au total 4000 à 5000 m3.jour-1, avec une perte d’eau journalière (à l’usine) de 3000 m3. De plus le réseau ne couvre pas toutes les zones habitées, et une diminution considérable de la pression se fait sentir dans les conduites les plus éloignées du réseau et également sur le piémont des collines à pentes relativement fortes (2 à 4 %). Bien que l’abondance de l’eau à Bangui (Tableau XXXVII) devrait favoriser l’extension du réseau et l’accès à l’eau potable pour tous.

Tableau XXXVII : Présentation synthétique des ressources en eau de la ville de Bangui
Ressources en eau Potentialités Utilisation actuelle Qualité Niveau de consommation
Eaux fluviales Fortes Encore limitée Non potables Faible
Eaux marécageuses Moyennes Limitée Polluées Faible
Eau des puits Elevées Elevée Polluée Elevé
Eau profonde Disponibles Faible Assez bonne Faible
Eaux pluviales fortes Faible Non potables faible
Notes
52.

L’eau des fontaines publiques (= eau courante ou eau de robinet) n’est pas la même que celle des puits traditionnels.