4.2. A propos de quelques pistes novatrices concernant la gestion des eaux

Nous avons montré que la réglementation de l’usage du sol constitue a priori un élément indéniable dans la perspective de gestion durable des eaux (§ 1). De ce fait, nous estimons que l’urbanisation, qui devrait être une transformation planifiée et ordonnée d’un espace, ne peut se faire sans que, préalablement, des opérations d’envergure soient définies et programmées. Cela suppose qu’existe un cadre réglementaire et juridique sous la forme d’un schéma directeur d’urbanisme et de plans de détails. Or nous remarquons que les plans d’urbanisme de la ville de Bangui datent de 1970 et sont inadaptés aux structures actuelles (I §1 : p. 21). Voilà pourquoi la gestion des eaux nous semble plus aisée lorsqu’il existe des infrastructures ou lorsqu’elles sont prévues, d’où l’intérêt que présentent les schémas directeurs, les programmes d’aménagement proposant la rationalisation de l’occupation de l’espace. Mais nous pensons qu’il ne suffit pas d’avoir les plus beaux schémas d’aménagement…, il faudrait les moyens de les réaliser. C’est pour cela que la ville de Bangui, bien qu’elle ait un schéma directeur d’urbanisme obsolète (voir Documents annexes), n’est pas parvenue à réaliser par exemple tous ses plans ou programmes d’assainissement successivement proposés depuis plus de deux décennies : faute de financements une fois de plus, mais aussi d’une politique volontariste.

Nous avons retenu deux approches de la gestion des eaux, imbriquant des procédés divers qui peuvent se superposer, s’emboîter, voire se coupler dans le cas de la ville de Bangui. La première (LAGANIER et al., 2000) concerne la gestion du risque d’inondation et des milieux humides qui nécessite de prendre en compte les dimensions historiques des informations spatialisées, pouvant expliquer les pratiques et les crises hydrologiques actuelles. En effet, connaître le passé de ces milieux humides et fragiles, ainsi que l’identité de ces territoires, permet de mettre en relief le facteur temps dans leur construction à l’interface du naturel, par les règles de fonctionnement de l’hydrosystème, et de l’artificiel, par le poids de l’anthropisation du milieu et des représentations sociales dans les pratiques d’aménagement. Par ailleurs, la constitution d’une base d’informations sur l’aléa inondation s’articule sur des informations qualitatives comme les dates d’événements historiques majeurs, les représentations sociales de l’inondation ou des milieux humides, l’évolution de l’intégration du risque dans les pratiques d’aménagement et de la vulnérabilité, lesquelles servent à engager le débat sur la gestion du risque et à rappeler la permanence du danger en conférant un sens historique aux crises hydrologiques récentes. Ces données issues de la géographie historique contribuent à porter un regard critique sur la mise en place de la réglementation de l’occupation du sol qui cherche à exprimer les temps de crises hydrologiques et ceux de l’usage des sols.

Nous avons constaté que la démarche utilisée par ces auteurs s’est basée sur une étude diachronique de l’usage du sol (données cadastrales, photographies aériennes, images satellitales) et de l’analyse des facteurs d’explication par le dépouillement d’archives écrites précisant ainsi l’évolution des rapports entre la société et la contrainte hydrologique. L’inventaire diachronique, permettant une confrontation des paysages d’eau passés et actuels, nécessite un important travail de correction géométrique des documents informatifs, ce qui déboucherait sur la constitution d’un système d’information géographique (SIG) pour disposer de l’ensemble des données dans un même référentiel géographique, dans un but comparatif. Nous avons appliqué en partie ces méthodes en étudiant les crues historiques de l’Oubangui à Bangui (NGUIMALET, 2003 a) et en esquissant un MNT pour la région de Bangui dans cette perspective de gestion de l’eau (voir §5). A défaut d’archives suffisantes sur les inondations de l’Oubangui à Bangui et sur leur gestion passée, nous avons plutôt déterminé et analysé les fréquences de ces crues indispensables pour la définition du débit seuil auquel une inondation est à prévoir (Annexes IV). Celui-ci nous permettra de prendre en compte le débit moyen journalier maximum, ou bien le débit maximum journalier s’il en existe, d’inondation du fleuve à Bangui dans la gestion de l’eau.

L’autre procédé présente l’intérêt des banques de données urbaines et des SIG pour une modélisation hydrologique (RODRIGUEZ et ANDRIEU, 2000), car il conviendrait mieux à un espace parfaitement maîtrisé, bien planifié et urbanisé. En effet, la transformation perpétuelle du milieu urbain rend nécessaire une bonne connaissance géographique et physique de la ville, un atout pour la modélisation hydrologique. En cela, le fonctionnement hydrologique des bassins-versants est perturbé dans le territoire urbanisé, d’où la nécessité de développer un SIG pour une meilleure appréhension des caractéristiques géométriques, morphométriques et humaines locales, utile dans le cadre d’une bonne gestion des contraintes dues à l’eau. Les variables à considérer sont la délimitation des bassins-versants, le calcul du coefficient d’imperméabilisation, la détermination des réponses hydrologiques impulsionnelles des bassins urbains, la forme de la ville qui est liée à son histoire et au tracé des principaux axes de circulation au cours de l’histoire, la voirie, le découpage parcellaire, la topographie et le réseau de drainage (caniveaux et réseaux d’assainissement : voir chapitre I). Ainsi, la constitution d’une telle banque de données urbaines à partir de l’archivage des informations, spatiales et temporelles de la ville permettrait de diagnostiquer le « mal » hydrologique et de le pallier de façon durable. Au-delà, ces données urbaines peuvent être réactualisées au fur et à mesure que la ville connaît des changements de tous ordres.

Notre thèse en cours est en train de produire, de réactualiser et de synthétiser des données physiques (géologiques, pédologiques, géomorphologiques, climatologiques, hydrologiques, etc.) et humaines (démographiques, urbaines…) que nous couplerons ultérieurement avec le MNT en confection pour constituer le SIG de la ville de Bangui, pouvant supporter tous ses programmes de gestion durable de l’eau. Plus la ville croît spatialement, plus on aura besoin d’un réseau grand ou étendu pour la distribution de l’eau potable par exemple. Le problème se pose de manière identique pour la distribution de l’électricité, du réseau d’égouts, etc.

Dans une nouvelle perspective de gestion des eaux DOURLENS et VIDAL-NAQUET (1992) ont précisé qu’au début du 3e millénaire les équipements d’eau potable seront consacrés à la « sécurité », et les trois mots assignant cette évolution sont : « quantité, qualité, sécurité ». Car la sécheresse relative de ces dernières décennies ainsi que la pollution des nappes souterraines ont réactualisé la question de la sécurité dans les pays développés notamment. Quant aux pays en voie de développement dont fait partie le Centrafrique, nous y observons le caractère récurrent de la question de la sécurité lorsque nous voyons la pollution de la nappe phréatique superficielle, aussi bien par les effluents de la filature de l’ex-UCATEX que par les eaux usées des latrines ; de plus, l’insuffisance du réseau d’adduction et sa vétusté représentent bien des raisons d’insécurité pour l’eau potable auxquelles les pouvoirs publics restent « insensibles » à Bangui. Ceci nous montre que la « conquête de l’eau » est bien loin de finir à Bangui, voire dans tout le pays. Or la sécurité se définit ici en termes de seuil de protection, de niveau de risque acceptable, de surveillance et de contrôle de gestion de risques potentiels.