Première partie
Mirages Et certitudes

Cette courte partie n’a pas d’autres ambitions que de poser quelques jalons balisant utilement notre travail. Peu à peu, au fil des pages, nous retrouverons ces jalons et approfondirons leur sens. Pour l’heure, notre tâche consistera à livrer de premières clés d’analyse ; débuter par l’étude des représentations permet de comprendre, au fil de la réflexion, comment elles influèrent les pratiques et comment en retour celles-ci les modifièrent. Encore faut-il ne pas être totalement dupes de ses sources. Que savons-nous du regard du peuple sur le pouvoir ? Si peu. Que ne savons-nous pas sur celui porté par les élites sur la masse laborieuse ? Apparemment rien ne nous aurait échappé. Que pouvons-nous faire de ces deux regards ? Deviner le premier au travers du brouillard des archives, réinterroger le second. Enfin, nous n’ignorons pas ce que les représentations induisent de propos caricaturaux. Qu’on nous pardonne de penser que tout l’intérêt est justement là : partons de ces caricatures et comprenons cette thèse comme étant aussi une tentative de les éprouver.

Les archives sont exceptionnellement bavardes au sujet des représentations ; souvent, elles distillent des indications à propos de la figure populaire dans l’imaginaire bourgeois. La littérature « scientifique » ne manque pas non plus. Cependant, il ne semble pas superflu d’y revenir, peut-être parce que, une fois encore, le XIXe siècle a été – quoiqu’on puisse imaginer – moins sollicité que d’autres. Nous n’hésiterons donc pas à privilégier les textes bruts et à citer les plus représentatifs – car après tout, quand il s’agit de représentations, mieux vaut la prose que la glose. En partant du constat de l’existence d’un fossé des sensibilités, nous essayerons de retrouver les divergences d’appréciation du sensible – en prenant notamment le spectacle de l’exécution capitale comme fil conducteur. En réaction à ces utilisations des sens, chacun se forgeait ses propres représentations ou, si l’on préfère, de l’imaginaire se greffait sur l’imaginaire. Des images de l’autre se créaient, les élites alimentaient leurs peurs et tentaient de rationaliser le peuple, tandis que celui-ci utilisait une rhétorique qu’il réservait au pouvoir. Au bout du compte, il faudra expliquer des différences et présenter des modes de pensée populaires et bourgeois divergents.

Il n’est pas simple de débuter l’analyse tant la logique des représentations empruntait des chemins sinueux. Les regards portés sur l’autre se superposaient et ne cessaient de s’influencer mutuellement. Ainsi, du côté des élites, le fossé des sensibilités s’accroissait au rythme des peurs nées de la différence et, inversement, ces peurs devenaient plus violentes dès lors que le fossé se creusait. Enfin, il ne faut pas se voiler la face : cette histoire des représentations est surtout une histoire des élites tant nos données sur le peuple sont lacunaires.