La foule des grands jours assistait aux exécutions capitales – mais quelle foule ? Comme il est question du fossé des sensibilités, on devinera aisément que le peuple qui se rendait aux exécutions capitales n’avait que peu de chances de côtoyer les élites lyonnaises. Charles Durand, citoyen helvétique de passage à Lyon, fut pris dans la foule se pressant place des Terreaux afin d’assister à l’exécution de Jean Daillis ; rapportant les faits dans une lettre adressée au journal L’Indépendant, il assura n’avoir distingué qu’une seule catégorie de spectateurs : les ouvriers 146 . Quarante ans plus tard, le Salut Public se félicita de ce que les ouvriers eussent été peu nombreux à une exécution pourtant programmée un lundi 147 – signe qu’habituellement ils se portaient en masse sur la place des exécutions publiques. Les indices fournis par la presse locale confirment ces impressions et précisent qu’il s’agissait d’ouvriers de Lyon et des faubourgs venus assister en famille au spectacle. Les spectateurs venant de plus loin représentaient une infime minorité de curieux. En revanche, si tous ou presque étaient Lyonnais, les ouvriers n’étaient pas les seuls ; les inactifs – vieillards, enfants, hommes et femmes sans emploi – formaient une part importante de la foule. On ne niera pas non plus la présence des bas-fonds. Lorsque la guillotine s’installa à Perrache, elle côtoya souteneurs et filles publiques dont regorgeait le quartier ; la prostitution de haute volée se déplaçait du centre ville et des demi-mondaines en toilettes resplendissantes arrivaient en voiture sur le lieu du châtiment. Mais malgré ces froufrous et ces dentelles, nous avons bien affaire à un spectacle populaire avant tout.
Ce peuple qui venait voir la Justice donner légalement la mort se comportait comme au théâtre. De fait, les Lyonnais se retrouvaient en grand nombre en quelques endroits précis pour voir une représentation attendue ; des places étaient payantes comme au théâtre ou au cirque ; des vendeurs parcouraient la foule pour vendre oranges et boissons ; les cafés sortaient leurs tables sur le pavé comme pour les jours de fêtes. L’exécution capitale était un spectacle, une pièce de théâtre, un divertissement que recherchaient les citadins. Il leur fallait, au départ, une pièce solide (un crime horrible), de bons acteurs (le bourreau, ses aides, le prêtre, le condamné), des rebondissements et du suspense (la machine va-t-elle fonctionner ?, quelles seront les réactions du condamné ?). Enfin, la critique (les occasionnels et la presse périodique) était à l’œuvre dès l’exécution terminée et commentait amplement ce qui venait de se passer. Comme au théâtre, si la représentation était mauvaise, le public le faisait savoir. En 1867, le mécontentement fut immense. A l’arrivée du condamné sur le lieu du supplice, des trombes d’eau s’abattirent sur la foule. Les premiers rangs ouvrirent leurs parapluies et gênèrent les spectateurs placés derrière eux. Certains osèrent crier « Remboursez », tandis que d’autres malmenaient la voiture cellulaire 148 . La pièce se jouait rideau baissé.
L’exécution allait plus loin encore que la simple représentation théâtrale car sa rareté créait la curiosité, attisait les attentes et retenait l’attention de chacun. Le spectacle offert n’était pas banal, il crevait la toile du quotidien en proposant de l’inédit qui avait un goût de « déjà-vu » (une exécution tous les deux ans en moyenne). Il était d’une violence extrême, marqué par le sang et la mort. Sa violence se retrouvait dans cette foule qui ne se lassait pas d’être en mouvement, poussant les uns, écrasant les autres ; les spectateurs se battant pour les meilleures places, des estrades de fortune cédaient, des branches d’arbres se brisaient. Violence également des derniers instants du criminel – surtout lorsque celui-ci criait et se débattait –, violence de la mort donnée, rapide mais spectaculaire. Le sang, une fois la tête du condamné tranchée, giclait sur le bourreau et ses aides, sur les premiers rangs de spectateurs, souillait les bois de justice et se répandait en flaque sur le sol. C’était dans ce contexte de violence et de souffrance que la foule manifestait ses émotions.
L’Indépendant n° 118, 01/10/1826.
Le Salut Public n° 78, 19/03/1867.
Le Courrier de Lyon n° 14 506, 18/03/1867.