Les réactions de la foule

La foule a toujours fasciné pour son aptitude à générer de multiples et contradictoires réactions et à retranscrire l’éventail des émotions possibles en un court laps de temps. Elle porte en elle-même, sous l’unicité de sa masse, les différences de ses individualités. ‘«’ ‘ Ses sentiments sont divers et échappent à l’analyse […] [s]es avis sont aussi divers qu’ils peuvent l’être dans une assemblée d’honnêtes et de malhonnêtes citoyens’ 149  ». Devant l’échafaud, chaque émotion était associée à son contraire : parler/se taire, rire/pleurer, etc. Avant que le condamné ne fût arrivé sur les lieux de l’exécution, la foule, joyeuse et festive, riait, buvait, chantait comme à la vogue ; partout, commentaires et lazzis fusaient. On se remémorait d’anciennes exécutions, on se racontait des anecdotes, on commentait par avance ce qui allait se passer. A l’exécution de Bernard, la foule crut apercevoir les parents de la victime derrière chaque fenêtre, fit courir le bruit que le bourreau avait eu une crise d’apoplexie en reconnaissant un ami sous les traits du condamné et plaignit les militaires présents qui, face à elle, ne voyaient rien du spectacle. Le peuple était de bonne humeur et avait la plaisanterie facile : ‘«’ ‘ Tiens, disait quelqu’un, la bascule dans la nouvelle guillotine, se trouve à hauteur d’appui. A hauteur d’Ampuis a répliqué un spectateur [Ampuis étant le lieu où le crime fut, commis’] 150  ». Puis, l’ambiance de fête retombait en un instant, dès que le convoi amenant le condamné approchait. Le silence se faisait alors pesant jusqu’à ce que la lame de la froide machine vint trancher le cou du criminel. Après seulement, la foule se faisait entendre à nouveau et réagissait comme au théâtre : les uns applaudissaient et bissaient (sic !), les autres, mécontents, sifflaient.

Les réactions de la foule étaient calquées sur la personnalité des condamnés. Le spectacle attirait parce que l’histoire et l’acteur principal étaient bons. La foule se muait dès lors en public venant juger la prestation de tel ou tel. Un crime horrible, un criminel à la personnalité hors du commun plaisaient – voyez Lacenaire 151 –, tout comme le caractère exceptionnel d’une exécution (nombre de guillotinés supérieur à un, statut social élevé du condamné, femme montant sur l’échafaud, parricide faisant le trajet prison/lieu du supplice à pied avant d’avoir le poing tranché). Le public préféra toujours un Collot coupant son oncle fortuné en morceaux et un Seringer défigurant trois membres de sa famille et se livrant à une mise en scène macabre, à un Vachot tuant sans éclat un pauvre vieillard dans un hameau reculé du Rhône ou à un Denis supprimant son prochain pour 8 francs 50. Les exécutions qui attirèrent le moins de monde furent celles dont l’affaire n’avait pas passionné les Lyonnais et dont le protagoniste ne possédait pas ce charisme nécessaire au déclenchement de vives passions. Le monstre fascinait la foule qui voulait contempler le visage de l’inhumanité – même si elle était la plupart du temps déçue car ‘«’ ‘ […] les héros du crime avaient la face ordinaire des humains’ 152  ». Cela étant, l’avis, positif ou négatif, que le public pouvait avoir d’un criminel était passible d’être modifié en fonction de son attitude dans les secondes précédant son trépas. Une mort silencieuse était jugée « digne » ; les excès n’étaient appréciés que s’ils ajoutaient un supplément de spectacle conséquent. Si l’attitude du condamné lui avait plu, la foule cessait ses cris de haine et n’hésitait pas à faire du supplicié un héros. Face au condamné, la foule présentait un double visage : haineuse avant l’exécution – ‘«’ ‘ Voyez cette foule, elle vient voir tuer un homme, et pas un d’eux ne songera à faire une prière pour moi ’» commentait amèrement Varvarande en arrivant au pied de l’échafaud 153 – puis respectueuse et compassée une fois le châtiment advenu. La foule n’était ni bonne ni mauvaise, ni honorable ni irrespectueuse, mais tout cela à la fois ; elle ne se voulut vengeresse qu’en de rares occasions.

Notes
149.

Le Courrier de Lyon n° 452, 13/02/1900.

150.

Pour cet exemple et les précédents, Le Petit Lyonnais n° 358, 01/08/1872.

151.

Anne-Emmanuelle DEMARTINI, L’affaire Lacenaire, Paris, Aubier, 2001, 430 p.

152.

Le Courrier de Lyon n° 378, 29/11/1899.

153.

Le Courrier de Lyon n° 9 396, 17/01/1855.