L’attraction de la mort

La fascination qu’exerçait l’exécution reposait sur un jeu d’attirance/répulsion. Une anecdote rapportée par le Courrier de Lyon en 1853 illustre parfaitement cette ambivalence. Une femme ‘«’ ‘ […] les yeux humides de larmes porte à la main son mouchoir pour les essuyer, et retenant son mari qui l’emmène : Attends un moment […] il y en a encore un à exécuter’ 154  ». Les émotions étaient puissantes mais la foule semblait en vouloir toujours plus. Cette femme souhaitait rester pour assister à l’exécution d’un complice dont elle ignorait la grâce. Elle était réellement hypnotisée, à l’image de cette autre dont l’enfant avait failli mourir écrasé par la foule sans qu’elle s’en rendît compte 155 .

Il y avait certainement une vraie croyance dans le caractère expiatoire de la peine capitale. Bien plus, au-delà d’une affaire qui se dénouait, c’était le mystère de la mort qui se jouait devant les yeux de la foule. La vue aurait été le sens nécessaire à la participation et à la compréhension du spectacle – d’où la course aux meilleures places : les Lyonnais venaient voir la mort. Ensemble, ils surmontaient l’angoisse de leur propre trépas en assistant à celui de l’autre et en redemandaient (ce qui laisse douter de l’exemplarité de la peine). L’idée de la mort est angoissante car on ne peut prévoir la date de son décès ; seule celle du condamné est prévisible, elle aura lieu tel jour à telle heure en tel endroit. Finalement, tous les comportements changeants qui caractérisaient la foule n’étaient que des stratégies de défense motivées par la peur de la mort 156 . Mais le passage de vie à trépas se faisait en moins d’une seconde, excitant encore plus les esprits, multipliant les questions vouées à rester sans réponse. D’autant que des générations de spectateurs s’étaient familiarisés, dans les siècles précédents, avec les lentes morts infligées aux suppliciés et l’habileté du bourreau à retenir la vie le plus longtemps possible malgré des souffrances physiques intolérables. La guillotine signifiait la fin du mourant, cet état visible du passage de la vie à la mort, et signait la disparition d’une des références fondamentales de l’imaginaire occidental, l’hora mortis. Moins la mort était visible, plus elle fascinait, plus la foule cherchait à la capturer de son regard. En revanche, le vocabulaire populaire restait muet : entre le moment où la tête s’engageait dans la lunette et celui où elle retombait dans la sciure du panier, aucun mot ne savait caractériser la brièveté de la mort donnée. Ce qui ne se voyait pas ne se disait pas 157 .

Notes
154.

Le Courrier de Lyon n° 8 037, 13/10/1853.

155.

Le Courrier de Lyon n° 12 026, 10/04/1860.

156.

V.A.C. GATRELL, The hanging tree. Execution and the English People, 1770-1868, Oxford, Oxford University Press, 1994, pp. 74-75.

157.

Martine COURTOIS, Les mots de la mort, Paris, Belin, 1991, p. 192.