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‘« […] horrible foule buveuse de sang ».B
‘« La foule se tient là comme au champ de foire : elle rit, elle chante, elle fume, elle boit ; et c’est entre deux lazzis, peut-être libertins, entre deux hoquets avinés, entre deux reflux houleux que chacun, se hissant sur les pieds, la prunelle dilatée, retenant son souffle, s’apprêtant à saisir au passage la minute fortunée où lui sera donné de voir le sang jaillir à bouillons rouges du cou du décapité ».C
‘« On sait de quels éléments gangrenés et pourris se compose la masse des curieux qui se pressent à ces douloureux spectacles ».D
‘« Gigolettes cyniques, noctambules de grands cafés de nuit et chevaliers du bas-port se coudoyaient en chantant en cœur [sic] des refrains obscènes, tous et les uns et les autres assoiffés dans un spectacle horrible. Bon profit ! disent les premiers, la nuitée a été joyeuse. Très sélect zézaient les seconds, ça vaut presque les manifestations dans les théâtres et faudra voir ! jurent les troisièmes comment l’ami Busseuil [futur supplicié] va dévisager la p… de veuve.E
‘« Il faut supprimer cet ignoble spectacle offert à des désœuvrés et à des filles, allant sur le lieu de l’exécution comme à un théâtre, et payant leurs places aux fenêtres des maisons voisines plus cher qu’à une première sensationnelle. La peine capitale, telle qu’elle s’est pratiquée au XIXe siècle a été pour les uns une occasion de satisfactions sadiques et pour les autres, un enseignement à la crânerie et au mépris de la morale et de la justice ».F
‘« Ils vont voir la mort en chantant : c’est ignoble ».Le spectacle de l’exécution capitale était un événement populaire à part entière qui attirait un public nombreux. Ce fut justement cela qui gêna tant les élites de l’époque qui ne comprenaient pas le sens d’une telle fête. Elles produisirent quantité de discours précisant leur pensée relativement à la publicité de l’exécution. De nombreux textes furent imprimés, et une fois de plus, ce fut la presse qui fournit les témoignages les plus intéressants. Les journaux lyonnais, même ceux s’adressant à un lectorat populaire (exceptés les organes militants que le sujet n’intéressait guère) et malgré leur propension à se repaître du crime et du sang, reprenaient systématiquement et unanimement la pensée des élites dans leurs comptes-rendus d’exécution.
Cette pensée ne remettait pas en question le bien-fondé de la peine de mort, seule sa publicité dérangeait. Pour les classes supérieures, était répugnant le fait d’être physiquement présent autour de l’échafaud. Le fossé des sensibilités traduisait l’expression d’une incompréhension par le dégoût. Ce dégoût s’articulait autour de trois points : l’inadéquation totale entre leur sensibilité et ce spectacle, leur peur de la foule, et, en toile de fond, les douloureux souvenirs liés au sang versé par la guillotine révolutionnaire.