Le sang et la folie

Le manque d’arguments venait de ce que l’homme se trouvait désemparé devant le mystère féminin qu’il peinait à expliquer. La femme, dans sa chair comme dans son âme, semblait ne devoir répondre à aucun principe de rationalité. Les discours sur la femme et l’échafaud, par exemple, étaient complexes, à l’image des représentations de la femme dans l’imaginaire masculin. Le couple qu’elle formait avec le sang lors des exécutions capitales faisait, de manière générale, partie de ces mystères qui alimentaient l’inquiétude des hommes, en faisant écho à leur fantasme né de leur incompréhension des menstrues 222 (incompréhension qui culminait avec cette habitude prise par les tribunaux, avec l’accord des médecins, de juger irresponsable la femme ayant commis un crime pendant ses menstrues). Des secrets du corps naquit la figure de la bipolarité féminine : ‘«’ ‘ La femme est cet être virtuellement dédoublé entre sa propriété subjective, personnelle, d’elle-même, et la nature qui s’empare d’elle et travaille en elle-même’ 223  ». Du fait même de ces mystères, la femme faisait peur. Au fil du XIXe siècle, l’image de la femme devint de plus en plus terrifiante, jusqu’à atteindre un certain paroxysme à la Belle Epoque avec l’Art Nouveau 224 .

Bien plus, il était admis que les femmes étaient davantage cruelles et sanguinaires que les hommes : ‘«’ ‘ plus d’une doit regretter que la mode ait changé et qu’on ne montre plus à la foule la tête coupée et sanglante’ 225  ». Hypnotisées et inconscientes, les femmes perdaient, aux yeux des observateurs, tout réflexe naturel aux personnes civilisées – que ce fût au pied de l’échafaud ou au cœur des tourmentes politiques et sociales (qui d’autres que des femmes auraient pu émasculer le boutiquier Maigrat 226 et faire preuve d’une incroyable férocité lors des épisodes révolutionnaires de 1848 ou de 1870 227  ?). Car la femme, donc la foule, ne raisonnait pas : la folie l’habitait. La foule était hystérique – du grec husterikos, qui concerne la matrice (cf. utérus) 228 . L’hystérie définissait la femme… la femme incarnait la foule… Il s’agissait d’un véritable cercle vicieux des représentations inhérentes à ce type de discours. Le parallèle femme folie n’était pas fortuit au regard du péril syphilitique. Le mal s’attrapait auprès de la femme dévoyée et, soigné trop tard, il vous condamnait à mourir de paralysie générale à l’asile. La prostituée représentait le lien entre la maladie biologique et la maladie sociale. On évoquait à ce propos ‘«’ ‘ […] des maladies qui, se communiquant ensuite dans les ménages, y port[ai]ent tous les germes du désordre et de la désunion’ 229  » ; il était question de contagion et de maladies qui se transmettaient sur des générations.

Notes
222.

Arlette FARGE, « Signe de vie, risque de mort. Essai sur le sang et la ville au XVIIIe siècle », URBI, n° II, décembre 1979, pp. 15-22.

223.

Gladys SWAIN, « L’âme, la femme, le sexe et le corps. Les métamorphoses de l’hystérie à la fin du XIXe siècle », Le Débat, mars 1983, p. 114.

224.

Michelle PERROT, « De Marianne à Lulu, les images de la femme », Le Débat, n° 3, juillet-août 1980, p. 151.

225.

Le Courrier de Lyon n° 144, 14/07/1878.

226.

Emile ZOLA, Germinal, Paris, Gallimard, 1990 (première édition 1885), pp. 424-426.

227.

Robert TOMBS, « Les communeuses », in Frédéric CHAUVAUD [dir.], « Violences », Sociétés et Représentations, n° 6, juin 1998, pp. 47-65.

228.

Voir ce que Gladys Swain a pu écrire au sujet de l’association hystérie/organes sexuels féminins (« L’âme… », art. cit.).

229.

ADR, 4 M 508, Lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, 25/11/1820.