Du désordre sexuel au désordre social

L’homme redoutait l’infériorité sexuelle et craignait la prostituée, considérée comme une menace – pour lui, la femme vertueuse et la société toute entière 230 . Cette peur se retrouvait dans la plupart des comptes-rendus d’exécution de la fin du siècle, lesquels faisaient des prostituées couvertes de « fourrures de chat tigre » de véritables mangeuses d’hommes 231 . La fille publique était d’autant plus effrayante qu’elle renversait complètement l’image de la femme et, partant, celle de l’homme ; ce qui apeurait relevait de l’inimaginable à savoir que la prostituée n’était retenue par aucune crainte ni aucune honte. La sexualité coutumière était en crise, les femmes préféraient jeter leur dévolu sur le condamné à mort… Des bouleversements étaient imminents : de la sexualité au désordre, il n’y avait qu’un pas que les prostituées semblaient franchir : ‘«’ ‘ […] sans cesse [elles] occasionnent des rixes, troublant la tranquillité publique, privent les voisins du repos de la nuit […]’ ‘ 232 ’ ‘ ’» ; on se persuadait, dès qu’éclatait un mauvais coup, qu’elles y étaient forcément mêlées. Ces nouvelles « furies de guillotine » ranimaient le souvenir révolutionnaire et menaçaient les hommes de façon angoissante : si elles renversaient la hiérarchie sexuelle, ne pourraient-elles pas, à terme, renverser la hiérarchie du politique et du social 233  ? La violence des femmes était un sujet préoccupant pour le pouvoir car, depuis le rôle qu’elles jouèrent durant la Révolution, il redoutait leur capacité à être les fers de lance des révoltes populaires.

Des voleurs, des assassins, des femmes dénaturées : comment tous ces dangers pouvaient-ils exister dans la société urbaine ? Les élites étaient persuadées qu’il s’agissait d’une contamination extérieure.

Notes
230.

Alain CORBIN, Le temps, le désir et l’horreur. Essai sur le XIX e siècle, Paris, Aubier, 1991, pp. 92-95.

231.

Cf. ci-dessus texte C.

232.

ADR, 4 M 508, Lettre des propriétaires et locataires de la maison du grand Balcon, 1816.

233.

Cf., pour la période révolutionnaire, l’analyse de Dominique GODINEAU, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine », in Cécile DAUPHIN et Arlette FARGE [dir.], De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999 (première édition 1997) p. 41.