La peur de l’étranger

L’étranger – c’est-à-dire celui qui n’appartient pas à la ville – était compris par les autorités comme un danger en puissance pour l’ordre public 236 , ce que ne manquaient pas de souligner les ordonnances et arrêtés. Sous la Révolution, l’autre devint l’ennemi et, le 16 août 1791, le corps municipal de la ville de Lyon décida l’organisation de perquisitions, effectuées par la Garde Nationale, dans tous les domiciles afin d’en débusquer les étrangers 237 . Même chasse aux sorcières en l’An II : ‘«’ ‘ considérant que depuis quelques jours les malveillants cherchent à souffler le feu de la discorde dans Commune-Affranchie ; que tandis qu’on placarde les rues d’affiches abominables, tendantes à allumer la guerre civile, et à replonger Commune-Affranchie dans les malheurs affreux qui ont frappé Lyon rebelle, des scélérats, gagés sans doute par Pitt et Cobourg, parcourent les campagnes sous différens déguisemens, maltraitent les personnes, violent les propriétés, et pillent particulièrement les maisons séquestrées ; que déjà le Général a été chargé de faire parcourir les campagnes par la Gendarmerie nationale pour arrêter les brigands ou hommes inconnus ; que depuis quelques temps une multitude de nouveaux visages se montre à Commune-Affranchie, et qu’il importe de s’assurer des intentions de ces hommes inconnus, comme aussi de surveiller leur conduite ’[sic] 238  » ; Il ne faudrait pas voir là seulement un signe du paroxysme révolutionnaire, car la suspicion pesant sur les étrangers ne s’atténua pas au XIXe siècle, bien au contraire. En 1851, ils étaient encore accusés d’» abus[er] de l’hospitalité qui leur [était] donnée en France, [et de] se livr[er] à des manœuvres coupables contre la sûreté de l’Etat 239  ». La peur de l’étranger relevait de la peur de la ville « gruyère », dans laquelle n’importe qui pouvait pénétrer comme il l’entendait. En 1800 comme en 1900, des papiers officiels annonçaient à intervalles réguliers que des hordes d’étrangers étaient aux portes de la ville et allaient l’envahir pour y jeter le trouble. En 1790, on évoquait les ‘«’ ‘ […] inquiétudes que caus[ait] le voisinage de cette classe d’hommes corrompus’ 240  » ; en 1877, les soldats de cette armée du mal apportaient avec eux la petite vérole et s’apprêtaient à répandre la maladie et la mort dans le département 241 .

Le fait que Lyon fût une très grande ville ainsi qu’une plaque tournante (Paris/Marseille, Suisse, Italie) n’était évidemment pas étranger à cette crainte du horsain. Combien de fois avons-nous pu lire des lettres d’autorités effrayées par le flux et le reflux des voyageurs. Lyon se ralliait aussi bien par terre que par voie fluviale et, dès la seconde moitié du siècle, le chemin de fer augmenta considérablement les arrivées et les départs d’individus difficiles à repérer. D’après les rapports de police, qui cherchait à se soustraire aux regards de la police n’avait qu’à entrer et sortir de la ville par bateau. Faut-il alors continuer d’être surpris devant l’exagération d’un conseiller municipal qui, en 1890, avança, pour son arrondissement, les chiffres de 10 000 Italiens et de 5 000 Suisses 242  ? Notons toutefois que cette vision était partagée par de nombreux habitants de la ville. Le pouvoir lui-même avait compris que les citadins accusaient, par exemple en cas de vols à répétition, les colporteurs et les mendiants 243 .

Notes
236.

« Les malveillants sont en général étrangers aux villes dans lesquelles ils cherchent à troubler l’ordre […] », AML, I1 1, Copie de la lettre du préfet du Rhône aux commissaires de police de Lyon et de ses faubourgs, 28/01/1822.

237.

AML, I1 167.

238.

Id., Ordonnance de police municipale du 18 germinal An II.

239.

AML, I2 149, Arrêté préfectoral, 17/09/1851.

240.

AML, 3 WP 124, Lettre des membres du directoire du district de Lyon à [?], 23/07/1790.

241.

ADR, 4 M 447, Rapport du préfet du Rhône, sd [1877].

242.

Délibération du conseil municipal citée dans Claudine DAHAN, La misère à Lyon, 1870-1914, D.E.S., Lyon, Université de Lyon, 1967, f° 102.

243.

Voir, par exemple, ADR, 4 M 155, Lettre de [?] au maire de Lyon, 12/05/1824.