1 - Masculin/féminin

Le genre de l’exécution

De manière générale, ce qui était connoté négativement se conjuguait au féminin. Prenez une fois encore l’exemple de l’exécution capitale. Comme la mort, la guillotine fut personnalisée sous les traits d’une femme : ‘«’ ‘ madame ’» ou ‘«’ ‘ mademoiselle ’» (1829), la ‘«’ ‘ veuve ’» (1830) ; personnalisation qui se retrouva dans diverses expressions : ‘«’ ‘ se marier avec Madame la guillotine ’», ‘«’ ‘ baiser la femme à Charlot ’», ‘«’ ‘ tirer sa crampe avec la veuve ’», ‘«’ ‘ baiser la camarade ’» signifiaient être guillotiné 254 . Tous les mots de l’exécution étaient de genre féminin (notamment ceux désignant les bois de justice), seuls l’échafaud et les personnages du drame (condamné, bourreau, aumônier) étaient de genre masculin : la placarde, la bascule, la lunette, la charrette, etc. Personne n’aimait la mort et la guillotine, pas même la foule – la masse, la multitude, la cohue – pourtant jugée femme à son tour.

Lorsqu’un journaliste isolait, dans son compte-rendu, quelques spectateurs, c’étaient invariablement des femmes qu’il choisissait. Dans Le dernier jour d’un condamné, les propos de la foule qu’entend le narrateur sont tous proférés par des bouches féminines 255 … Par contamination, les femmes finissaient par incarner la foule. Cette façon de voir les choses trouva son point d’achèvement dans les travaux « scientifiques » de la Belle Epoque. Ainsi, Gabriel Tarde démontra que ‘«’ ‘ […] par son caprice routinier, sa crédulité, son névrosisme [sic], ses brusques sautes de vent psychologiques de la fureur à la tendresse, de l’exaspération à l’éclat de rire, la foule est femme, même quand elle se compose, comme il arrive presque toujours d’éléments masculins’ 256  ». Au pied de l’échafaud, la foule, incapable de contrôler ses émotions, oubliait la gravité du crime, se laissait guider par ses émotions et ses pulsions, suivant les sentiments de l’instant et délaissant son indignation passée 257 . Versatilité de la femme enfant.

Notes
254.

Martine COURTOIS, Les mots…, op. cit.

255.

Victor HUGO, Le dernier jour d’un condamné, Paris, Gallimard, 1996 (première édition 1829), chap. XLVIII.

256.

Gabriel TARDE, L’opinion…, op. cit., p. 163.

257.

« La foule s’écoule […] plus accablée peut-être d’une douloureuse émotion causée par la vue d’un tel spectacle, que d’indignation et d’horreur pour deux si grands crimes qui affligèrent tant notre ville et la contrée de Tarare ». Le Courrier de Lyon n° 2 992, 23/05/1840.