De l’utilité du mauvais sujet

Le mauvais peuple que dénonçait le pouvoir était toujours identique, figuré par une foule ou par des individualités « dangereuses » (criminels, prostituées, etc.). Aux yeux des autorités, les mauvais sujets n’avaient aucune légitimité ; les policiers ne croyaient pas leurs dépositions. Autant il était possible à un bon sujet de basculer du mauvais côté, autant l’individu catalogué indésirable semblait voué à ne jamais devenir une figure positive. Tel homme, qui avait fait de la prison, devint un suspect d’habitude fréquemment arrêté puisque son passé le plaçait ‘«’ ‘ […] dans le cas de connaître des malfaiteurs’ 278  ». Et lorsque l’accusation de criminel ou de femme de mauvaise vie s’avérait insuffisante, la toujours utile figure de l’étranger était agitée comme un épouvantail. Excellent moyen pour les élites de dédouaner « leur » peuple de Lyon, naturellement si bon qu’il ne saurait être perverti que par des esprits vicieux, donc étrangers à la ville (d’où, par exemple, la défiance et la lutte contre les démoralisateurs de la nation qu’étaient les colporteurs).

En définitive, mieux valait pour le pouvoir que le mauvais sujet fût vraiment mauvais et qu’il eût un passé chargé et des comportements anormaux. Il fallait qu’il fût une figure emblématique à l’image de ce Commarmot que le maire de Lyon accabla presque par soulagement : débauché, souteneur, factieux, escroquant ses camarades en les terrifiant, il fit mourir sa femme de chagrin, vivait en concubinage avec une matrone dont il aurait volé l’héritage à sa mort et n’avait pas travaillé quinze ans depuis quarante qu’il était crocheteur 279 . Aspect cathartique de la description : il était finalement confortable de savoir que de tels individus, reconnaissables à quelques traits de caractères, existaient réellement. Mais que pouvait faire le pouvoir lorsqu’il se trouvait confronté non plus à un trublion esseulé mais à une population désireuse de renverser l’ordre établi ?

Notes
278.

ADR, 4 M 370, Supplique de Joseph Colonge au préfet du Rhône, 03/02/1815.

279.

ADR, 4 M 373, Lettre du maire de Lyon au procureur général, 11/02/1822.