Les formes de la présentation

Les affiches ici étudiées sont celles que le pouvoir utilisait pour s’adresser directement au peuple, se présenter, s’expliquer, se justifier, préciser ses sentiments et ses actions. Notre corpus de 83 affiches, glanées au gré des archives 285 , comprend à la fois des proclamations relatives à des événements nationaux (naissance royale, sacre, décès, révolutions…) comme locaux (entrées princières, révoltes, fêtes…). Elles couvrent une période s’étirant depuis le 18 brumaire an X jusqu’au 22 septembre 1852 se répartissant comme suit :

Tableau n° 1 : Nombre de proclamations retrouvées par régime politique (83 cas) – An X-1852
Consulat / Empire / 100 jours 7
1° et 2° Restaurations 30
Monarchie de Juillet 36
Deuxième République 10

Il ne s’agit que d’un échantillon des proclamations qui durent être affichées dans ce demi-siècle, mais au moins avons-nous retrouvé les principales – soit celles placardées dans les moments importants de la vie de la cité (par exemple la période troublée de 1814-1815 ou bien encore la double révolte des canuts). Le choix de s’arrêter en 1852 nous a été imposé par les archives puisque nous n’avons pas pu retrouver de proclamations pour le Second Empire et les débuts de la Troisième République.

Toutes ces adresses furent composées de la même manière tout au long du demi-siècle étudié 286  : affiches standards, de grand format – environ 40,5 cm de large pour 53 cm de long (exceptés les dépêches télégraphiques 287 et les avis le plus souvent imprimés sur un demi format). La mise en page suivait toujours le même procédé qui avait l’avantage de rendre claire et immédiatement lisible la proclamation – à la différence de celles surchargées et confuses de l’Ancien Régime. En haut, l’émetteur – mairie, préfecture, commissariat général de police – s’affichait en très gros caractères, augmenté d’une devise – ‘«’ ‘ Liberté, égalité, fraternité ’» – ou d’un blason (les armes de la ville) afin d’être immédiatement reconnaissable. Ensuite, venait le titre soit l’objet de l’affiche. Les caractères utilisés étaient alors aussi gros que gras. Suivait enfin le nom des destinataires. Cinq termes étaient fréquemment utilisés pour les qualifier : « Lyonnais », « habitans de Lyon », « habitans du département du Rhône », « citoyens », « concitoyens » [sic]. Ces trois éléments (émetteur, titre, destinataire) occupaient le tiers voire, parfois, la moitié de l’affiche. Apparemment, le pouvoir tenait là un puissant outil de communication, facilement identifiable par le plus grand nombre de par sa mise en page répondant à des canons de rédaction (caractères larges et gras, emploi systématique des majuscules).

A la suite de ces titres monumentaux s’étirait un texte de longueur variable, très court dans le cas d’une dépêche télégraphique, beaucoup plus explicite dans le cas d’un cours magistral sur l’état du pays. Il était imprimé en petits caractères d’imprimerie et en lettres minuscules. L’emploi des majuscules était réservé à quelques cas spécifiques, pour des noms propres (« NAPOLEON »), des abréviations (« SAR »), une fonction particulière (« ROI »), pour insister sur un terme clé de la proclamation (« la PAIX », « le HEROS DU MIDI ») ou s’adresser au destinataire (« LYONNAIS »). La majuscule en début de nom (Prince, Ville, Gouvernement) était tout aussi utilisée, servant pareillement à mettre l’accent sur des points importants du texte. Divisé en paragraphes, celui-ci était parfois composé sur deux colonnes. A chaque paragraphe correspondait une idée développée selon une alternance de phrases longues et courtes. Les textes n’étaient pas simplistes ; la prose était riche, le vocabulaire ardu, les tournures de phrases complexes. Le ton employé était le plus souvent ampoulé, exagéré, baroque. On n’évoquait pas un mariage mais un « hymen glorieux » et d’» augustes alliances » (15) 288  ; il était fait allusion au « Trône héréditaire des Lys » (15) tandis que le Comte d’Artois faisait ‘«’ ‘ éprouver des émotions si délicieuses ’» au peuple (9). Voilà qui pose l’épineuse question de la qualité de la réception du message au sein des classes populaires ou, de façon certainement plus juste, voilà qui montre les facilités de l’anachronisme psychologique. En effet, le langage a évolué, et le fait qu’aujourd’hui les médias s’adressent au plus grand nombre comme à des enfants nous trompe énormément.

L’affiche se terminait par un « slogan » appelé alors « cri de ralliement », à l’image du « VIVE LE ROI ! VIVE LES BOURBONS » sous la Restauration. Afin qu’il fût facile à retenir, le pouvoir prit soin de le faire imprimer en majuscule et en italique, centré au milieu de l’affiche. Puis, invariablement, venaient les indications permettant d’identifier le document : le lieu de rédaction (hôtel de ville) et la date, le statut de l’émetteur en italique (maire) et son nom en lettres majuscules (« LE COMTE DE FARGUES »). Enfin, tout au bas de l’affiche, séparés du reste du texte par un long trait horizontal, figuraient les noms et adresses de l’imprimeur. Etait ainsi donnée aux lecteurs la preuve de l’authenticité du document ; on peut estimer qu’il était important pour les destinataires de savoir qui décidait quoi.

Notes
285.

Principalement dans les cartons suivants : ADR, 1 M 162-165 et AML, I1 5-7, I1 154-166, I5 1&2, 3 WP 126, 4 WP 54, 1160 WP 11. Nous en avons également retrouvé dans le catalogue de l’exposition 1814-1852, Les régimes passent, Lyon demeure !, organisée aux Archives municipales de Lyon du 18 juin au 28 août 1983. Voir la transcription du corpus, annexe n°7.

286.

Peut-être qu’avant de débuter plus en détails notre étude des proclamations devons-nous exprimer un regret, celui de ne pas avoir su opérer une lecture fine de la langue. Il fallut se borner à une analyse classique du discours car, comme souvent, la tentation linguistique de l’historien ne fut que désillusion.

287.

Innovation technique, la dépêche télégraphique fut, à Lyon, utilisée comme moyen de communication en 1820 à l’occasion de la naissance du comte de Chambord. Elle permettait de donner au plus grand nombre de brèves et percutantes informations peu de temps après les événements et avant que les rumeurs ne se répandissent dans la ville. Cet exercice était donc assez éloigné de la proclamation, souvent longue et démonstrative.

288.

Pour éviter d’alourdir ce texte par de trop nombreuses notes de bas de page, nous opérons après chaque citation un renvoi au numéro du texte original reproduit en annexe (cf. annexe n°7).