Deux manières de se peindre

Comment mettre en avant sa légitimité ? Deux manières de se présenter au peuple furent utilisées par les gouvernements du XIXe siècle. La première consistait à se glorifier outrancièrement, à se parer des meilleures qualités. Napoléon construisit ainsi sa légende sur le thème du héros. Les frères de Louis XVI insistèrent, quant à eux, sur la dimension sacrée et déiste du souverain. Elle était inculquée aux populations amenées à croire que la machine administrative n’existait pas et que les problèmes de chacun pouvaient être pris en charge par un souverain omniscient et omnipotent. La fête de la Saint Louis était un « jour désiré », chaque année apporté par le Ciel et dont la célébration remerciait Dieu, artisan du bonheur de la France (19). Louis XVIII était une « idole », l’incarnation adorée du divin, qui réalisait des « prodiges » (27) ; souverain tutoyant les rivages méconnus du surnaturel, il accomplissait des miracles. Magie et Providence (Dieu gouvernant le monde) nimbaient le trône d’un halo mystérieux et rendaient le souverain intouchable. En 1835, la Providence sauva le roi d’un attentat qui sema pourtant la mort tout autour de lui (63). Et les affiches ne manquaient jamais une occasion de multiplier les références religieuses. ‘«’ ‘ L’Ange de la paix et de la réconciliation plane enfin sur la France, il se montre à vous sous les traits de l’AUGUSTE FILLE DE LOUIS XVI ’» (6). Créature et messager de Dieu, l’ange incarnait cet intermédiaire entre le créateur et les hommes… comme le souverain. En rattachant leur légitimité à la monarchie médiévale, les Bourbons imposèrent l’image d’un roi sacré sur le modèle de Saint Louis.

La présentation du pouvoir fut bien différente sous la Monarchie de Juillet et durant les premières semaines de 1848. Il n’était alors plus question de se glorifier, s’héroïser ou se diviniser par un discours emphatique. Au lendemain de la Révolution de 1830, le pouvoir royal apparaissait sous les traits du gardien des libertés et en aucun cas comme l’incarnation d’une toute puissance. Formée en creux par le rejet du despotisme et de l’anarchie, la fraîche légitimité orléaniste se bâtit sur deux termes à l’association osée : l’ordre et la liberté, assurés par l’existence d’un pacte social. Les modalités de la présentation de soi évoluèrent et rompirent avec le ton ampoulé des Bourbons. Même si la France devait à Louis-Philippe ‘«’ ‘ […] le pacifique développement de ses institutions ’» et l’Europe et le Monde ‘«’ ‘ […] le repos dont ils jouiss[ai]ent ’» (72), le régime donna moins dans l’héroïsation extrême de ses hommes (peu d’adjectifs les glorifièrent plus que nécessaire, ils n’étaient que des hommes intelligents et raisonnables). Les références à la religion furent gommées de même que le lien unissant le roi à la divinité suprême. La providence ne tenait plus le rôle principal car la France « a[vait] reconquis ses libertés » par sa seule « énergie ». L’affiche du 10 août résuma parfaitement la nouvelle donne politique : le roi était devenu « Roi-Citoyen ». Roi des Français, Louis-Philippe ne semblait pas tirer sa légitimité de l’hérédité et de Dieu, mais du peuple. Cette logique du retrait – relatif – du pouvoir au bénéfice du peuple fut reprise sous la Deuxième République. On assista même à l’effacement du pouvoir traditionnel. Les proclamations ne reflétaient plus la hiérarchie sociale de la société mais tendaient un miroir au peuple en lui signifiant que le pouvoir lui appartenait : ‘«’ ‘ Ces pouvoirs n’existent que par vous et pour vous ’» (74). Les pouvoirs locaux n’existaient effectivement que par la « confiance spontanée » que le peuple leur avait octroyée. La partition nous (autorités)/vous (population)/ils (ennemis) subsistait mais seul le « vous » aurait alors maîtrisé le pouvoir décisionnel.