2 - La recherche du contrat

La volonté de soigner son image n’était pas anodine. Le souhait du pouvoir était de susciter un sentiment d’union au sein des populations et de pouvoir passer avec elle un contrat moral. Cela nécessitait une mise en scène de la proximité que les autorités étaient susceptibles d’entretenir avec le peuple.

Cultiver la proximité

Le pouvoir cherchait à se rapprocher du peuple en tentant de lui montrer combien leurs intérêts étaient liés. Pour ce faire, il s’adressait directement à lui, le flattait, lui faisait partager ses heurs et malheurs et s’annonçait capable de résoudre ses misères.

‘«’ ‘ Je suis heureux de toutes les occasions où je puis resserrer les liens qui m’unissent et m’uniront toujours à la Population Lyonnaise […] ’», déclara le duc d’Orléans en 1832 (50). Le pouvoir œuvrait inlassablement à la consolidation du lien l’unissant à la population. L’utilisation du « vous » permettait d’englober l’ensemble des Français tout en laissant entendre que le pouvoir s’adressait directement à chacun. La plupart du temps, l’émetteur ne s’impliquait pas puisqu’il était un intermédiaire parlant au nom d’un autre. Lorsque le souverain ou le maire s’adressait lui-même aux Lyonnais, le ton changeait et le texte se chargeait d’une force nouvelle du fait de l’implication du « je ». Si les autorités locales l’employaient systématiquement, les souverains n’en faisaient l’usage qu’à l’occasion d’un séjour dans la cité. L’exemple le plus connu reste celui de Napoléon lors de son retour de l’île d’Elbe. S’adressant aux habitants et signant simplement « Napoléon », il laissa aux Lyonnais un texte autant affectif que politique : ‘«’ ‘ Vous avez toujours été au premier rang dans mon affection. Sur le Trône, ou dans l’exil, vous m’avez toujours montré les mêmes sentimens [sic]. Ce caractère élevé, qui vous distingue spécialement, vous a mérité toute mon estime. […] je reviendrai […] LYONNAIS, je vous aime ’» (13).

S’adresser directement à la population participait d’une stratégie de séduction. Le pouvoir tentait de faire naître des légendes dont le peuple n’aurait pas été exclu et insistait sur l’ancienneté de sa fidélité envers le régime en place et laissait penser qu’existait un contrat aussi vieux que solide les unissant. Au bout du compte, les autorités pouvaient conclure leurs adresses sur le modèle de celle consacrée au 18 brumaire : ‘«’ ‘ […] tu es gravée dès à présent dans le cœur de tous les Français ’» (1). Après le départ d’une personnalité, des affiches remerciaient la population d’avoir répondu présent à l’appel de ses magistrats : ‘«’ ‘ Par-tout [sic], les acclamations de la joie publique […] ’» (16) avaient retenti après la visite de la duchesse de Berry. La proclamation servait à prouver aux Lyonnais combien leur attitude avait pu plaire au pouvoir – on n’oublia pas de préciser que les « dernières paroles » de la duchesse furent pour eux – car ils sentaient qu’ils étaient forcément les premiers dans le cœur du souverain. Pour ce faire, l’ensemble de l’argumentation s’accompagnait d’une épaisse couche de démagogie : la ville de Lyon était inlassablement qualifiée d’» intéressante », le peuple récepteur dissocié des classes dangereuses, le locuteur incarnant les valeurs les plus consensuelles (la paix, la prospérité, la liberté, etc.). Le peuple n’était jamais dépeint sous un aspect négatif mais était celui qui « se distingu[ait] toujours » par son attachement à la légitimité, la pureté de ses principes et l’inviolabilité de son honneur.

Pour être aimé, fallait-il encore donner en retour et faire partager. Bourbons et Orléans ne manquèrent jamais de recycler leurs propres drames familiaux afin de renforcer l’affection que leur portaient leurs sujets. Fidèle en cela aux habitudes d’Ancien Régime, la monarchie fit partager au pays les heurs et malheurs qui la touchèrent. La mort du duc de Berry et la naissance « de l’enfant du miracle », après que la princesse eût « heureusement » accouché d’un mâle (23), furent utilisées dans cette perspective. Les années suivantes, des proclamations anniversaires permirent de qualifier l’événement. L’attentat dont fut victime le duc était alors « effroyable », survenu un jour désormais « fatal et à jamais déplorable » (24) ; on sollicitait des pleurs pour le père et des réjouissances pour le fils. Le soutien populaire était assuré alors même que la situation politique eût pu devenir fâcheuse (agitations d’opposants à un régime en manque d’héritier). En 1835, au sujet d’un autre attentat, Louis Philippe avoua qu’un « affreux spectacle a[vait] déchiré [s]on cœur » ; il venait de perdre un « vieil ami », comme d’autres en avaient perdu en 1830 ou en 1834 (62). La communication exaltait la proximité.

Non seulement le pouvoir montrait qu’il était à l’écoute du peuple et qu’il le comprenait, mais il lui faisait aussi comprendre qu’il agissait pour lui. On ne pouvait décemment pas escompter obtenir le soutien d’une population si on ne montrait pas qu’on œuvrait à l’amélioration de son sort. Et de fait, le souverain se disait conscient de toutes les misères et les injustices qui touchaient sa population. Lorsque le premier consul rendit visite aux Lyonnais, il leur fut précisé qu’il venait ‘«’ ‘ […] connaître [leur] besoin, recueillir [leurs] vœux, consulter [leurs] intérêts […] ’» et que, si nécessaire, on lui indiquerait les bienfaits qu’ils attendaient (2). En 1826, Charles X aurait pris de son propre chef – et sur ses propres deniers – l’initiative de soulager la « gêne momentanée » de la classe ouvrière (33). En 1831 encore, le duc d’Orléans, dès qu’il eut vent des troubles lyonnais, se décida ‘«’ ‘ […] à tout quitter pour venir faire cesser cette effusion de sang français […] ’» (49). Belle illusion politique : personne d’autre qu’un ministre, un préfet ou un maire ne s’intercalait entre le souverain et ses sujets comme s’il distribuait lui-même les secours. Ses caisses n’étaient jamais vides et sa bonté était inépuisable. Tel prince, c’était certain, ‘«’ ‘ [allait] ranimer [les] manufactures […] aucune des branches de [l’]industrie n’[allait] échapper à sa généreuse sollicitude […] ’» (7).