L’union contractuelle

Derrière cet éloge de la proximité gouvernants/gouvernés se cache une quête qui animait le pouvoir : la recherche de l’union contractuelle (de la nation comme de la ville).

Qu’une personne de l’entourage royal ou impérial vînt à s’arrêter à Lyon et les affiches employaient le terme « posséder », illustration parfaite de la quête du lien qu’animait le pouvoir et écho à l’expression ‘«’ ‘ Le Roi est rendu à la France ’» (14) en usage lors de la restauration monarchique. Au niveau national, le contrat s’apparente à celui que peuvent nouer des fils avec leur père. Effectivement, au travers des proclamations, un lien charnel semblait unir le souverain et son peuple. L’argument le plus souvent invoqué comparait la domination du pouvoir à la domination paternelle : ‘«’ ‘ […] le ROI […] ne voit dans les Français qu’une Famille dont il est le Père […] ’» (17). La domination s’accompagnait de la protection : ‘«’ ‘ […] ses soins paternels veillent sur tous ses enfans [sic] ; il ne s’occupe que du bonheur de son peuple […] ’» (19). Enfin, l’amour filial expliquait qu’à la mort de Louis XVIII, ‘«’ ‘ […] la France déplor[a] la perte du père de la grande famille […] »’ (29). Le père/roi faisait tout pour ses enfants/son peuple afin d’assurer leur/son bonheur et leur/sa réussite. Pour ce faire, ses enfants devaient l’aimer, respecter son autorité et remplir leurs devoirs filiaux : ‘«’ ‘ C’est votre Roi qui vous le demande ; c’est un père qui vous appelle »’ (37). Ce type d’argument, fréquemment utilisé sous la Restauration, était en apparence excellent car l’autorité paternelle apparaissait à tous élémentaire – même au sein des classes populaires.

Au niveau local, le rapport des autorités à la population était sensiblement différent. Selon leur vœu, il s’apparentait davantage à celui unissant le maître à ses élèves car les Lyonnais avaient à combler les attentes de leurs magistrats qui, au quotidien, les éduquaient afin que leur père/le roi fût content d’eux – c’était là ‘«’ ‘ […] la plus belle récompense de leurs soins et de leurs travaux […] ’» (33). Préfets ou maires pensaient aussi devoir se présenter, et presque rendre des comptes, à la population. En 1830, le nouveau préfet du Rhône ne manqua pas de fournir ses preuves, précisant qu’il était Lyonnais par des liens familiaux et qu’il avait été en charge d’un département voisin ; il concluait : ‘«’ ‘ J’invoque ces titres à votre confiance »’ (39). En 1835, le nouveau maire se targuait lui aussi de la confiance que le roi et le peuple citoyen lui avaient octroyée et n’oubliait pas de mentionner son oncle, fondateur de la Martinière. Il insistait sur la nécessité de travailler de concert avec la population : ‘«’ ‘ L’Administration a droit de compter sur les bons Citoyens, comme les bons Citoyens sur Elle »’ (59). Cinq ans plus tard, Terme, premier magistrat fraîchement nommé, demanda à la population un plébiscite sans vote afin de contractualiser sa nomination : ‘«’ ‘ Cette estime et cette confiance me sont nécessaires pour faire le bien ; je les réclame aujourd’hui, et aucun sacrifice personnel ne me coûtera pour les obtenir ’» (67). Lui aussi apportait des gages en précisant qu’il avait été président du conseil des Hôpitaux et, qu’à ce titre, il avait œuvré pour le bien de la cité. Délivrant les grandes orientations de sa politique à venir (intérêt général et ordre public), il précisait qu’il ne pouvait rien entreprendre sans le soutien de la population. Démagogie ? Certainement. Que cela ne nous empêche pas de nous interroger sur ce besoin irrépressible de se présenter au peuple en se montrant à la hauteur de la tâche à accomplir. Depuis 1789 au moins, le pouvoir avait appris à se méfier de la masse et savait désormais qu’il lui était impossible de ne pas la prendre en compte. Il devait par conséquent lui faire savoir que rien ne se ferait contre lui ou en dehors de sa connaissance. Son désir était même encore plus démesuré car c’était le soutien populaire qu’il espérait.

Bref, le pouvoir désirait voir le peuple ne faire qu’un à ses côtés. Seule l’union pouvait rendre possible le contrat. Pour ce faire, le pouvoir ne s’adressait qu’à un unique groupe : citoyens sous le Consulat et la Deuxième République ; Français, peuple et Lyonnais le plus souvent. Ces termes génériques, synonymes de sujets 289 , exaltaient l’unité de la Nation. Malgré les régimes successifs et des idées défendues parfois en opposition, la recherche du soutien populaire fut une constante du siècle. Au lendemain de la Révolution de juillet, le préfet du Rhône appelait de ses vœux une « alliance intime » entre l’administration et les citoyens (39). La formule du roi citoyen ou du prince populaire consacrait le lien gouvernants/gouvernés en symbolisant la fusion du souverain et de son peuple. L’un des ultimes avatars de la recherche de soutien pour assurer l’unité du pays fut sans doute les plébiscites du Second Empire, nouvelle réitération d’une façon de faire héritée de Napoléon 1er. Pour Louis Bergeron, le vote ou l’abstention à un plébiscite ‘«’ ‘ […] est moins un acte réfléchi, un choix politique que l’expression affective d’une confiance globale accordée ou refusée à un homme. […] La démocratie plébiscitaire passe au-dessus des institutions représentatives et entrave la formation d’une opinion publique’ 290  ». Il ne pouvait être question que d’amour ou de désamour.

Notes
289.

Sauf évidemment durant quelques mois en 1848.

290.

Louis BERGERON, L’épisode napoléonien, t.1 : Aspects intérieurs, 1799-1815, Paris, Seuil, 1992 (première édition 1972), pp.14 et 17.