Une leçon d’Histoire

Tout un pan de l’histoire politique du XIXe siècle fut occulté, bien que de manière totalement involontaire, par l’historiographie du XXe siècle. Pensez au bourrage de crâne durant la grande guerre, aux affiches soviétiques ou nazies, à l’ORTF suivant « la voix de son maître »… A cause de la prolifération des médias, et de la plus grande visibilité que cela conférait aux pouvoirs, on oublie qu’auparavant, certes à une échelle réduite, de semblables manipulations étaient le lot commun. A suivre les définitions du dictionnaire, l’emploi des termes propagande et démagogie n’a rien d’exagéré. Il y avait propagande puisque chaque régime essayait systématiquement d’imposer à l’opinion sa vision de l’histoire et ses vues en matière politique et sociale. Elle ne devrait pas seulement renvoyer à une notion de faux, de réel fabriqué de toutes pièces mais plutôt être considérée comme une lecture officielle du réel. La division opérée par Michèle Fogel 291 entre le « faire croire » et le « faire savoir » nous paraît artificielle : la proclamation va de l’un à l’autre, combine l’un et l’autre. La propagande ne doit pas être non plus saisie comme la marque d’un gouvernement sûr de son action, son utilisation même laisse entrevoir des faiblesses d’importance. Quant à la démagogie, ‘«’ ‘ attitude consistant à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, pour obtenir ou conserver le pouvoir’ 292  », elle s’insinuait dans chacune des proclamations étudiées.

Utilisant à son profit l’événement, la proclamation était l’occasion pour le pouvoir d’instruire le peuple et de lui délivrer une histoire de France revisitée. Certaines longues affiches aimaient à exposer magistralement une conception avantageuse du sens de l’histoire. Durant la Restauration, cette façon de faire fut très employée – ainsi lors du sacre de Charles X (32). Elle n’était, bien entendu, pas très complexe et se résumait à une opposition entre les tyrans d’hier et les bienfaiteurs d’aujourd’hui. Ce message simple, dont les références historiques n’étaient pas toujours identiques (les rôles étant interchangeables), avait le mérite de fonctionner quels que fussent l’époque et le régime en place. Le passé était toujours terrible, maculé de sang, le présent était agréable, profitant des avantages de la paix, et la perspective de l’avenir sereinement riante. Mais n’insistons pas, cette vision de l’Histoire se construit sur le modèle de la division entre bon et mauvais peuple déjà étudiée.

Notes
291.

Michèle FOGEL, Les cérémonies de l’information dans la France du XVI e au XVIII e siècle, Paris, Fayard, 1989, pp. 15 sq.

292.

D’après Le Petit Larousse 2001. Le grec dêmagôgos signifie « (celui) qui conduit le peuple » et dêmagôgia« art de mener le peuple particulièrement en captant sa faveur » (Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française).