Parler au nom du peuple

Une stratégie, que les acteurs politiques actuels n’ont d’ailleurs pas renoncé à éprouver, consistait à s’adresser à la population en lui disant « voilà ce que vous voulez ». Ce qui revenait à parler à sa place : ‘«’ ‘ Ce jour est destiné par le Gouvernement et par le vœu de tous les Français, à célébrer l’époque la plus mémorable de notre histoire ’» (1). Puis, assez subtilement, l’émetteur utilisait le futur pour indiquer au peuple ce qu’il devait penser et faire, tout en ayant recours à des phrases interrogatives – ‘«’ ‘ […] Son Altesse Royale ne les aurait-elles pas retrouvés gravés dans tous les cœurs ? ’» (8) –, exclamatives – ‘«’ ‘ Ah ! si jamais elle doit éclater […] ’» (8) – ou injonctives – ‘«’ ‘ Profitez des instans [sic] de bonheur que vous accorde SAR ’» (9). Le vocabulaire employé était tout aussi primordial : « pur amour », « nouvel enthousiasme », « ivresse nouvelle » (19). Il y avait une indéniable volonté de créer du spontané qui témoignait sans doute d’une méfiance à l’égard du peuple et de l’enthousiasme que le régime était capable de susciter à son égard. Le pouvoir semblait estimer qu’il lui fallait encourager et provoquer l’amour de la population envers son souverain. Mais il convenait de persuader le peuple, et de se persuader soi-même, de ce que les ‘«’ ‘ […] Magistrats n’aspir[ai]ent point à se rendre les interprètes de [ses] sentimens [sic] [mais qu’] ils n’[avaient] que le désir d’y répondre et de les seconder ’» (4).

Cette orchestration est réellement visible à la lecture des proclamations précédant un voyage officiel. Ayant présenté tel voyage comme devant profiter au peuple, les autorités ajoutaient une condition : que l’accueil réservé à l’hôte de marque fût le meilleur possible afin qu’il pût faire de son séjour un rapport élogieux au souverain (9). Une impression défavorable aurait en effet entraîné le refus de délivrer des avantages aux Lyonnais. En définitive, la population devait mériter l’affection du prince. Elle avait à exprimer sans compter son enthousiasme pour qu’ensuite il « daign[ât] apprécier » les bonnes dispositions de la cité (10) 293 . L’inquiétude vis-à-vis des réactions populaires et le recours au chantage s’expliquaient par le fait que le pouvoir intervenait d’abord quand il se sentait menacé ou moins soutenu. Le message des proclamations s’apparentait au « dormez braves gens » tant elles assuraient que tout allait pour le mieux, que l’agriculture, l’industrie et les arts se portaient à merveille.

Notes
293.

Il était logique que dans une société pyramidale (cf. supra), la base exprimât son amour, son respect et son dévouement dans un geste de soumission ; ce n’étaient pas les dirigeants qui devaient s’abaisser vers le peuple.