Les demandes

On recense trois principales thématiques, selon que l’émetteur évoquait ses propres malheurs, ceux des autres ou cherchaient à nuire à autrui. Il s’adressait au pouvoir avant tout pour parler de ses problèmes personnels (82,5% des suppliques avaient pour objet les malheurs de soi), plus rarement ceux des siens (11,5%). La supplique était très rarement une arme dirigée contre un particulier (6%) – elle avait peu à voir avec la lettre de dénonciation ; lorsque c’était le cas, il s’agissait moins d’un règlement de compte que d’avertir le pouvoir d’un complot ou d’un différend politique et/ou financier. Les malheurs de soi et des autres dont on faisait part aux autorités étaient des plus divers : pas moins de 48 variations furent recensées ! Sur les 241 suppliques évoquant des malheurs personnels, 42,5% concernaient une misère matérielle causée par un sous-emploi chronique, une indigence manifeste, une maladie avérée, etc. 34,5% avaient pour cause l’emprisonnement dont on se disait être la victime et 6,5% mettaient en avant de délicats problèmes familiaux. Les suppliques restantes inventoriaient, pêle-mêle, des persécutions, des ennuis d’ordre politique ainsi qu’une série hétéroclite de déboires administratifs. Lorsqu’il était question de la misère de l’autre, on faisait état d’emprisonnement dans près de la moitié des cas ; par conséquent, il s’agissait alors de défendre celui qui n’était plus là et qui n’avait pas toujours les moyens d’assurer sa propre défense – mais ces cas étaient minoritaires. Cet autre qu’on souhaitait aider était avant tout un parent (21 cas) ou une connaissance (10 cas) ; en revanche, celui qu’on dénonçait était essentiellement autre (un étranger ou un adversaire politique).

Si on examine à présent les doléances, il est patent qu’elles étaient aussi nombreuses que les suppliques et que certaines nous apparaissent comme hautement fantaisistes. On peut toutefois tenter de les regrouper en catégories distinctes, sachant que 4,5% des suppliques ne contenaient aucune demande précise et faisaient juste état d’un besoin d’être aidé et de retrouver un honneur perdu. Les émetteurs emprisonnés formulaient presque tous la même demande : ils souhaitaient recouvrer leur liberté (cela correspond à la demande la plus souvent citée – 24% des suppliques). Leur dialectique était simple : pour convaincre le pouvoir de leur rendre leur liberté, ils affirmaient leur innocence ou insistaient sur leur rôle de soutien de famille. Ils étaient par ailleurs quelques-uns à solliciter l’amélioration de leurs conditions de détention (3% des suppliques) et un peu plus à quémander des explications quant à leur enfermement (5,5%) ; en effet, beaucoup ignoraient combien de temps ils allaient devoir passer en prison, notamment ceux qui étaient en attente de jugement, et sollicitaient une entrevue auprès du préfet 309 . 30% des émetteurs, rejoignant la thématique principale des malheurs de soi, demandaient au pouvoir de soulager leur misère en leur versant de l’argent (20% des cas) ou en leur proposant du travail (10%). Ceux qui sollicitaient du travail, le plus souvent auprès de la préfecture, avaient souvent déjà travaillé pour le pouvoir, à l’image des anciens militaires rendus à leur misérable vie civile. 14% des demandeurs sollicitaient une aide administrative, ce qui révélait toute l’incompréhension des Lyonnais vis-à-vis du fonctionnement de la machine étatique. Se retrouvaient dans cette demande des individus exprimant des vœux hétéroclites, allant de la permission d’ouvrir un commerce, à la demande de régularisation de papiers, en passant par des envies de changer de résidence ou par des velléités de s’engager. De façon moindre, les suppliques s’adressaient aussi au pouvoir afin qu’il prît en charge les questions politiques (contre les étrangers, pour Dieu ou la République) – 9% des cas – ou qu’il réglât un problème familial (mauvais fils, fille légère) – 7,5%.

Notes
309.

« [...] depuis environ deux mois il est détenu dans les prisons de Saint Joseph sans qu'il ait été interrogé une seule fois, par conséquent sans qu'il ait connaissance des causes et motifs qui le font détenir ». ADR, 4 M 159, Supplique de Giuli Vigamo au préfet du Rhône, sd [1825]. « Je ne comprends pas pourquoi je suis à Saint-Joseph […] je n’ai rien fait de mal ». ADR, 4 M 446, Supplique de Jacquet au préfet du Rhône, 1816. Certains détenus, c’est un comble, demandaient à être enfin jugés.