2 - Les élites

Etait-il possible que l’armure du binaire ne parvînt jamais à se fendre ? La position des élites est-elle aussi franche qu’on veut le croire ? L’autocontrôle craquait parfois et avait des ratés. Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur ce qu’il y avait sous l’autocontrôle. Comment mesurer l’effort fait sur soi voire contre soi ? Une tempête sous un crâne ? Le bloc de cartésianisme que nous évoquions plus haut n’était-il pas taillé dans une roche friable ? Il convient alors de s’interroger sur l’homogénéité du groupe élite. N’est-elle pas factice ? En effet, une habitation pouvait très bien apparaître insalubre aux yeux de la commission d’hygiène et salubrité et tout à fait habitable pour son propriétaire ou un commissaire de police. Il y avait également une notion d’intérêt qui venait souvent se superposer à une notion d’hygiène et qui prenait le dessus sur la sensibilité bourgeoise. Une étude menée sur les contraventions de simple police en 1860-1861 démontrait que les classes supérieures avaient commis 831 des 1322 délits constatés contre l’hygiène et la salubrité 396 . L’entrepreneur qui avait intérêt à laisser au beau milieu d’une rue son chargement de pierres ou de fumier ne se gênait pas pour le faire. Lorsque la commission s’en prenait à certaines industries, elle s’entendait répondre que telle manufacture était installée depuis fort longtemps dans tel quartier sans que personne n’eut à redire quoi que ce fût 397 . Toutes les élites n’étaient pas membres du bureau d’hygiène de Lyon et posséder chez soi le confort en matière de propreté n’empêchait pas de déverser du purin sur les quais de Saône.

Notes
396.

Alexandre NUGUES-BOURCHAT, Le peuple et la rue. Sociabilités et sensibilités populaires à Lyon au XIX e siècle, Mémoire de DEA dirigé par M. Yves Lequin, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1999, f° 138 sq.

397.

Sur ce sujet, voir les divers dossiers conservés dans AML, I5 1&2.