Chapitre V — La ville ordonnée

La théorie du quadrillage s’appuyait sur le système policier. Mais que le sens des mots ne nous trompent pas. Ne croyons pas que derrière le terme banal de « police » se rangeaient uniquement des bataillons d’hommes armés et casqués prêts à défendre l’ordre menacé. Nous aurions là une branche de la police et non l’arbre imposant qu’était le système policier. Ce système n’était rien moins qu’une façon d’appréhender la gouvernance urbaine 428 . ‘«’ ‘ Veiller à la sûreté de tous est l’attribution essentielle de la police’ 429  ».

Ce système se trouvait, en 1800, absent de la cité rhodanienne, ou s’il existait, il était des plus déficients. Lorsque certains auteurs clament que le modèle policier français était admiré des pays européens du XVIIIe siècle, ils oublient de préciser qu’il s’agissait d’un modèle parisien 430 . A Lyon, rien de très élaboré. L’expérience révolutionnaire avait certainement changé la façon d’envisager la police : moins tolérante et plus bureaucratique pour reprendre les mots de Richard Cobb 431 . Le système policier s’avérait nécessaire et le pouvoir appelait de ses vœux son instauration : ‘«’ ‘ Lyon est la seconde ville de France : des considérations d’un ordre élevé exigent qu’une police active y soit exercée avec persévérance’ 432  » ; ‘«’ ‘ Lyon est une ville considérable où la police qui sans doute n’y doit pas être aussi compliquée et aussi difficile qu’à Paris, exige pourtant des moyens très étendus pour parvenir à y maintenir l’ordre et la sûreté publique’ 433  ».

Point de départ essentiel, la stature de la ville – sa taille, son importance historique, son poids économique et social – conditionnait ce souci d’organisation policière optimale et complexe qui aboutit à l’élaboration d’une théorie du quadrillage. Celle-ci devait pouvoir répondre aux peurs des bourgeoisies que nous avons détaillées ailleurs et qui contenaient de nombreux invariants présents tout au long du siècle. La surveillance se portait donc sur les étrangers, vagabonds, mendiants, sans-travail, prostituées, délinquants, criminels, repris de justice, opposants politiques et bandes de voleurs, bref, sur tout ceux qui bougeaient et se remarquaient dans l’ordre social établi par les élites.

L’étude de la mise en place théorique du quadrillage se fera en deux temps. Il sera d’abord montré que que, dans l’esprit des élites, tout reposait sur le contrôle de la ville dans son ensemble et que rien ne devait pouvoir échapper à leur surveillance. Ensuite, il faudra démontrer qu’après une phase de contrôle venait le temps du tri : une fois les anomalies repérées, le pouvoir se chargeait de les éliminer – au moins symboliquement.

Notes
428.

« Gouverner le royaume signifie lui donner une police », pensait-on déjà sous l’Ancien Régime. Cf. Paolo NAPOLI, Naissance…, op. cit., p. 57.

429.

AML, I1 1, Copie de la lettre du préfet du Rhône aux commissaires de police de la ville de Lyon et de ses faubourgs, 28/01/1822

430.

Clive EMSLEY, Policing…, op. cit., p. 1. Se reporter à cet ouvrage pour une présentation de la police parisienne et provinciale des dernières décennies de l’Ancien Régime et de la période révolutionnaire.

431.

Richard COBB, La protestation…, op. cit., p. 40.

432.

ADR, 4 M 1, Lettre du lieutenant de police au préfet du Rhône, 12/08/1818.

433.

ADR, 4 M 2, Rapport sur la police de Lyon, sa [préfecture ?], sd [1824].