Les ordonnances de police

Les affiches étaient la meilleure façon de faire passer les normes auprès des citadins ; elles précédaient la répression en indiquant ce qu’il était interdit de faire et en expliquant les normes à suivre. Les affiches – devançant le journal – annonçaient également des faits comme la prise d’une place, l’échec d’une insurrection à Paris, l’élection d’un nouveau maire. Elles précisaient encore des aspects de la vie quotidienne en fixant les équivalences en franc des monnaies autrichiennes et allemandes ou en réglementant la circulation un jour de fête. Rien ne semblait pouvoir échapper au quadrillage. Les ordonnances municipales de la première moitié du XIXe siècle en fournissent un exemple frappant 444 . Sur 42 ans et trois mois (janvier 1800 – mars 1842), le maire de Lyon édicta 932 arrêtés et ordonnances, soit en moyenne un peu moins de deux par mois. Pourquoi multiplier lois, ordonnances et arrêtés ? Le pouvoir cherchait avant tout à recouvrir la société d’un ensemble de normes, la quadriller donc. L’ensemble des directives permettait justement de construire cette visée totalisante puisque ‘«’ ‘ […] l’unique objet de la loi nouvelle est de suppléer à l’insuffisance des lois existantes […]’ ‘ 445 ’ ‘ ’».

Les ordonnances municipales des années 1800-1842 portaient essentiellement sur les formes urbaines. Elles assuraient la diffusion du quadrillage ainsi que la répartition des hommes et des choses au sein de la ville ordonnée. La transcription graphique suivante montre leur ventilation par année.

Graphique n° 1 : Nombre d’ordonnances et arrêtés de police municipale par année (932 cas)
Graphique n° 1 : Nombre d’ordonnances et arrêtés de police municipale par année (932 cas) – 1800-1842 Pour l’année 1842, seules les ordonnances du premier trimestre sont disponibles.

Globalement, le volume des ordonnances s’accrut au fil des années après avoir décollé à partir de 1810. Cette progression est d’autant plus importante que certains arrêtés cessèrent d’être réimprimés, une loi ayant repris au niveau national leur contenu, alors que la mairie axait sa politique sur la réimpression régulière des avis déjà pris. Ainsi du fait de la loi du 10 avril 1831 sur les attroupements, le pouvoir municipal cessa de définir lui-même la norme les concernant ; le contenu normatif ne changea guère mais il n’y eut plus de nouvelles ordonnances sur le sujet. Malgré une évolution sensible, force est de constater que la parution des ordonnances était pour le moins chaotique. A quelques années correspondent des pics qu’on peut expliquer par plusieurs facteurs. Il peut par exemple s’agir de la conséquence d’une modification apportée à la théorie du quadrillage. Le décollage soudain, dès 1810, est certainement à relier à la promulgation du Code pénal qui fournit la matière légale des arrêtés. D’autres pics s’expliquent par des données conjoncturelles, qu’elles soient économiques (une mauvaise récolte obligeait le maire à prendre un arrêté sur les boulangers), politiques (les révoltes des canuts entraînèrent la publication d’ordonnances spécifiques) ou naturelles (un hiver rigoureux apportait son lot de dispositions d’urgence en rapport au déneigement ou à la fonte des glaces). Il faut insister sur la question politique car elle était primordiale. Si nous ne sommes pas en mesure d’analyser le poids qu’auraient pu avoir les maires – certains pouvant être davantage enclins à prendre des arrêtés que d’autres – il est en revanche possible de souligner les effets non négligeables des changements de régime. Effectivement, deux des pics qui se caractérisent par un nombre d’ordonnances élevé coïncident avec la venue au pouvoir des Bourbons puis des Orléans. Outre le fait que ces périodes charnières pouvaient être particulièrement troublées, il faut comprendre que tout nouveau pouvoir avait pour habitude de réimprimer l’ensemble des ordonnances en vigueur. Il n’était pas question de les modifier mais de laisser sa marque sur la gestion urbaine. En instituant sa légitimité, on en profitait pour rappeler au peuple le droit chemin 447 . Notons qu’à partir du Second Empire, sous l’impulsion du préfet Vaïsse, les ordonnances normalisant la ville et ses habitants non seulement abondèrent mais gagnèrent en précision. Le XIXe siècle n’a quasiment rien inventé. Une ordonnance relative à l’hygiène et la salubrité datant de la fin du XVIIIe évoquait déjà la plupart des objets d’application possibles. Seulement, là où, auparavant, une ordonnance suffisait, chacun de ses articles, développés, donnaient désormais naissance à autant d’arrêtés spécifiques. La langue française et le langage de l’Etat se diffusaient ainsi dans l’ensemble de la cité. L’utilisation d’un français correct et parfois littéraire était la marque du pouvoir et de son contrôle de la société, un signe de sa puissance publique.

Multiplicité des ordonnances, multiplicité de leurs objets également. Toutefois, de vastes thématiques générales se dégagent. 17% des 932 arrêtés pris entre 1800 et 1842 s’attachaient à réglementer les « loisirs », soit essentiellement les fêtes officielles mais aussi les promenades bourgeoises et les jeux populaires. 21% traitaient des mouvements incontrôlés qui traversaient l’espace urbain ; elles s’appliquaient à divers objets, depuis les ambulants jusqu’aux animaux et aux problèmes de circulation. La catégorie la mieux représentée, et portant sur le plus grand nombre d’objets différents, concernait l’hygiène et la salubrité (23,5%). Il était alors question de respect des formes urbaines pour une meilleure qualité de vie. Les objets d’application s’étendaient donc du naturel à l’industriel. Ces données correspondent à la première moitie du XIXe siècle ; toutefois, concernant la police municipale, les années 1850-1880 ne modifièrent pas les orientations de cette politique.

Même si l’exemple de la police municipale met davantage l’accent sur les choses que sur les hommes, tout restait lié : c’est pour cela que le contrôle s’attachait au quadrillage des hommes et de choses. Les ordonnances nous ont livré une idée très générale de ce que pouvaient être les domaines d’intervention du pouvoir ; il est temps de les aborder dans le détail.

Notes
444.

AML, I1 13, Tables alphabétiques et chronologiques des arrêtés, ordonnances, règlements de police municipale (1800-1842).

445.

ADR, 3 Up 64, Instruction sur l’exécution de la loi du 29 octobre relative à des mesures de sûreté générale, du ministre de la Justice au procureur général de la Cour royale de Lyon, 08/12/1815. On aura noté que la fréquence des ordonnances était moindre qu’au siècle précédent puisque Arlette Farge en relevait environ trois par mois entre 1730 et 1763 – mais il s’agissait de Paris. Cf. Arlette FARGE, « L’espace… », art. cit., p. 119.

446.

Pour l’année 1842, seules les ordonnances du premier trimestre sont disponibles.

447.

Cet état d’esprit est particulièrement visible dans le passage à la Troisième République. Dès 1871, les autorités lyonnaises décidèrent de faire afficher l’ensemble des arrêtés pris sous l’Empire... Cf. AML, 1140 WP 1.